"Tu fais Gay"

Publié le par Dorian Gay

"Tu fais Gay"

Je scrute avec l’œil le plus aiguisé mon reflet dans la glace, j’observe avec attention chaque détail de ma physionomie, chaque crevasse, chaque rebondi, chaque angle, chaque pli de peau – je baisse les yeux sur les vêtements dont je suis vêtu ce matin, me préparant pour une énième journée monotone et fade de travail sous les auspices d’une météo exécrable, je soupire, me rince les mains, y enduit une crème et sors de la salle de bains.

« Il fait un peu gay le monsieur » avait soufflé, un peu trop fort, une jeune adolescente à sa mère dans le bus, la veille, lorsque je me levais du siège dans lequel j’étais installé pour me diriger vers les portes pivotantes et m’engouffrer vers la sortie.

« Faire gay ? » - Je ne comprenais pas, je ne saisissais pas la quintessence de cette détermination. En 2013, qu’est-ce cela signifie et suppute de « faire gay » ?

Cela fit inéluctablement remonter à la surface de ma mémoire toutes ces allusions très souvent portées sur des minorités de tous azimuts, toutes ces réflexions souillées de stéréotypes qu’on a pour la plupart déjà entendu : « faire viril, faire gouine, faire gay » ; « faire immigré, étranger, intégré ou "Français de souche " », « faire bobo, faire modeste » et quelques autres perles.

L’apparence a toujours été reine dans la société dans laquelle nous vivons : elle sert à faire des liens (il)logiques, de socle aux préjugés, de justifications aux conclusions hâtives. Dans de nombreuses situations, elle est utilisée pour niveler et permettre de distinguer les minorités de la majorité.

De réflexion en réflexion, de verre de vin en verre de vin et de piste en piste (de la compil de Susan Graham), le sentiment qui se dégagea de mon analyse fut celui d’injustice : on ne choisit pas (toujours) son apparence. De ce principe découlent deux conséquences : on l’accepte et on s’en complait, peu importe le folklore qui y est rattaché ou on décide de nager à contre-courant et de le modifier afin d’échapper à ces renvois, et à cela aucune minorité n’échappe, les phénomènes de blanchiment de peau dans les communautés colorées, de débridement de yeux ou que sais-je encore suffisent à étayer cette affirmation.

Donc pour en revenir à mon questionnement, qu’est-ce donc « faire gay » ? C’est porter un sac au coude pour un garçon ? Porter un baggy et des cheveux courts pour une fille ? C’est faire « folle » ? C’est apprécier porter des couleurs ? Ne porter que des jeans slims ? Avoir des traits fins et féminins ? C’est être, quelque part, perdu, égaré, entre l’image dogmatique de l’homme puissant, poilu et viril et la femme douce, fragile, dépendante et parfumée ?

Lorsqu’on est jeune, jusqu’à un certain âge, on ne se pose généralement pas ces questions : nos parents décident de nos coiffures et de nos styles vestimentaires et on est, au pire, légèrement efféminé chez les garçons ou un tantinet garçon manqué chez les filles. Là où le bât commence à blesser c’est à l’adolescence et ses premières indépendances : on s’affirme, on se façonne un style, une image, un look, un univers et on l’assume … ou pas.

Pour ma part, dès que j’ai obtenu mon indépendance vestimentaire vis-à-vis de mes parents, avec le naturel le plus absolu, j’ai toujours eu un style « non-conventionnel » pour un garçon de l’époque : j’aimais les couleurs, j’appréciais les pantalons valorisants par leur étroitesse, les coiffures un peu osées, les accessoires, etc. Et, au fond, ce style qui en tout point pourrait donc correspondance à la checklist du « parfait dandy homosexuel des années 2000 » ne m’a jamais causé de souci, étant à cette époque dans une période d’excès.

Cependant, avec l’âge adulte viennent des choix impératifs : continuer à se laisser lire comme un livre ouvert ou se conformer à un style cliché plus « intégrant », de bon père de famille ? En d’autres termes, décider pour la suite de sa vie, notamment professionnelle si on veut se noyer dans l’anonymat, le quelconque, ou continuer à cultiver une certaine différence ? Facilité ou challenge ? Si certains homos n’ont jamais eu à se poser ce type de questions, étant naturellement et originellement « non-identifiables » par leurs looks, la plus grande majorité, dont je fais partie, s’est une fois au moins penchée sur cette épineuse préoccupation.

Car épineuse, elle l’est en effet. Ce sont des situations lourdes de conséquences. Les premiers ont le choix : choix de dissocier leur vie privée de l’image qu’ils reflètent, choix de cultiver un certain anonymat, choix de la parfaite intégration. Les seconds n’ont pas ce choix, pas cette facilité, ils sont dépossédés en partie du contrôle de leur image et par corollaire d’une partie de leur vie privée qui se lit sur eux, sans qu’ils l’eurent voulu. Certains opposeront que reprendre le contrôle de son image est aisé ; certains s’y essaient même : une barbe par ci, quelques biceps par-là, un style faussement négligé mais n’est-ce pas au fond une solution de compromis péremptoire à terme ?

Cette visibilité subie a, je l’accorde, d’indéniables avantages : impossibilité de mentir et de prétendre, nul besoin (ou presque) de réaffirmer à son entourage ou à de nouvelles connaissances que l’on est gay mais aussi facilité déconcertante à se faire aborder dans les lieux publics, les abordants étant certains de vos affinités sexuelles communes.

Mon choix est certes fait aujourd’hui, j’aime tout autant les foulards colorés que les jeans slims, mais alors que j’entame ma vie professionnelle je me rends compte que, malgré dans la relative tolérance de la société dans laquelle nous vivons, tout ne sera pas simple. Ma différence sexuelle se lit sur moi, comme ma différence de colorimétrie de peau, je n’ai pas le luxe du secret, pas le luxe de prétendre être ce que je ne suis pas, honnête malgré moi… et peut être aussi remarqué, discriminé, haï, moqué pour une chose que je n’ai pas pu cacher. Il n’est pas question ici d’acceptation, elle est pleine et entière pour moi et pour une grande partie de ceux qui vivent cet affichage subi, ce coming-out automatique. Nous aimerions juste, de temps à autre, nous fondre dans la masse et ne pas être résumés à une apparence corollaire d’une sexualité ; pouvoir de temps à autre être « X » ; pouvoir de temps en temps fermer le livre de nos vies privées…

Chose à quoi, Sébastien, ami métrosexuel et amoureux d’une bonne amie, a répondu : « tu augmentes l’entropie de l’univers sans raison, est ce que tu veux passer chez moi boire un thé avant mon rendez-vous chez la pédicure ? ». Et puis merde, s’ils s’y mettent aussi eux…

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S
une réflexion très intéressante sur la visibilité, et la fin avec ce pote métrosexuel est délicieuse
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S
J'avoue être dans la catégorie des non identifiables aussi bien par le physique que par le style vestimentaire.<br /> <br /> Et pourtant des fois, j'aurai bien aimé pouvoir être plus visible mais comme je n'ai pas le physique qui permet de porter des trucs slims, près du corps etc, j'ai jamais l'opportunité d'adopter un style plus &quot;exotique&quot;.<br /> <br /> Est-ce un bien? Un mal? Je ne le saurai sans doute jamais.
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