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J'ai Pleuré

Publié le par Dorian Gay

J'ai pleuré

J'ai pleuré comme j'ai rarement pleuré.

Je suis un garçon fort, lassé d'être fort. Pendant des années je n'ai pas pleuré.

La dernière fois cela devait être quand tu es décédé A. Je t'ai laissé partir dans le goût salé de mes larmes, me répétant que c'était injuste et que tu avais tant à offrir à moi, au monde.

Ce soir, j'ai pleuré.

J'ai pleuré car j'ai aimé, pas d'amour mais d'amitié.

J'ai pleuré car je ne comprenais pas les épreuves d'une vie que je trouvais parfois pleine d'ironie.

J'ai pleuré car je pensais avoir déjà traversé les épreuves de milles vies, plus que quiconque sur cette terre.

J'ai pleuré car je pensais que j'avais déjà prouvé que j'étais fort.

J'ai pleuré car je pensais enfin avoir mérité le répit.

J'ai pleuré parce que je suis au point de départ alors que j'ai couru toute ma vie, comme si le paysage que j'ai parcouru pendant toutes ces années étaient factices.

J'ai pleuré, seul, car je n'aime pas partager mes larmes - alors, je les essuie quand ceux que j'aime me demande si tout va bien. Vous savez, moi je suis comme ça, je n'aime pas partager le poids de mon fardeau.

J'ai pleuré parce que malgré tout cela, je reste résolument quelqu'un de bien, je m'évertue à rester une belle âme.

J'ai pleuré parce que par centaines de fois je me suis sacrifié, offert ma chair à ceux que j'aime, leur ai servit mon sang dans des coupelles en argent. Le savaient ils même? Furent ils reconnaissants?

J'ai pleuré parce que je n'aspirais même pas à de la reconnaissance. Ainsi suis-je fait.

J'ai pleuré parce que je suis seul, entouré de quelques lueurs vives qui me réchauffent.

J'ai pleuré car je reste humble malgré les humiliations.

J'ai pleuré parce que de mes mains nues j'aurais tué pour eux.

J'ai pleuré parce que je ne comprends pas. Je ne comprends rien. 

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Je n'aime toujours pas le café

Publié le par Dorian Gay

Nota: Extrait (dans sa version pré-correction de mes éditeurs de mon roman autobiographique à paraître à la fin de l'année).

 

Pourquoi on vit ? pourquoi on meurt ? mais avant le big bang qu’est qu’il y avait ? si la terre est ronde, est ce que les gens qui habitent au pôle marchent la tête à l’envers sans le savoir ? de quoi est constituée la matière noire dans l’espace ? comment est distribuée l’eau courante ? si on fait reproduire deux espèces différentes, par exemple un cheval et une oie, on peut obtenir une chimère, pégase ? on devrait inventer des avions transparents, comme ça les gens vivraient une expérience de vol hors de commun, tu ne penses pas ? si on chauffe suffisamment du carbone est ce qu’on peut créer des diamants artificiels ? si on réussit à séparer les atomes de la matière et qu’on arrive à trouver un moyen de les mouvoir dans l’espace, est ce que l’on peut aboutir à une méthode de télé-transportation efficace des êtres vivants ? ça ressemble à quoi un cœur en vrai ? si on arrive à injecter des petits robots intelligents dans nos veines, peut être qu’on pourra les téléguider et soigner des maladies sans à avoir à ouvrir un patient ? que trouve t’on dans les abysses des océans ? cela existe les poulpes géants ? si on gèle nos corps et que l’on trouve un moyen de nous endormir l’esprit, on pourrait peut être se conserver pendant des siècles et se réveiller dans le futur ? Mais alors, si les civilisations du futur ne savent plus comment communiquer avec des humains du passé, ce serait dramatique.  Si c’est une chute de météorites qui a entrainé l’extinction des dinosaures, comment cela se fait il que cette disparation fut si sélective et des espèces à priori plus fragiles, comme les nôtres, ceux des chiens, des chats ou des oiseaux aient survécu ? Pourquoi ne retrouvons-nous pas trace de ces météorites mais sommes-nous capables de retrouver des fossiles intacts ? Pourquoi les pays ont des frontières alors que la nature n’en a pas ? Des questionnements divers que je soumettais à ma mère alors que je venais à peine de souffler sur mes six bougies.

 

Ma mère, notre entourage, mes enseignants ont très vite compris que j’étais un enfant particulier. Mon esprit vivace ne laissait personne indifférent. Les gens qui me rencontraient étaient tantôt interloqués, tantôt fascinés. On m’affublait très tôt du quolibet de « tête ». On me disait régulièrement sur un ton à la fois moqueur et admiratif :

 

  • Tu es une tête hein toi !

 

J’avais un don inné, rare et précieux. Le nom qu’on y associait divergeait d’une personne à une autre. J’étais tantôt considéré comme précoce, tantôt comme intelligent, tantôt comme un « crack ». Je n’ai jamais vraiment compris ce que cela revêtir comme signification mais je comprenais néanmoins que cette étiquette me mettait à part des autres enfants de mon âge.

 

Je me rendais bien évidemment compte que même si j’avais tout d’un gamin comme un autre, je restais singulier. Pourquoi donc semble t’il que je sois le seul à me poser de telles questions existentielles à mon âge entre deux parties de billes ? Pourquoi les autres ne s’intéressent pas autant aux sciences, à l’histoire, à la mythologie, à l’astronomie ? Pourquoi les autres ne s’amusent t’ils pas à dessiner les plans réalistes d’une montgolfière dans leurs cahiers de dessins ? Pourquoi je ne me plains jamais des devoirs à faire à la maison alors que mes petits camarades s’en plaignent quotidiennement ?

 

Il fallait se résoudre à accepter cette différence sans la comprendre. J’étais assoiffé de découvertes et de connaissances. Je lisais sans cesse. A 10 ans, alors que j’héritais d’un des premiers ordinateurs domestiques, j’apprenais la complexité du codage. Au même âge j’écrivais mes premiers romans et mes premières nouvelles que je lisais à ma mère ou à mon professeur de lettres. Un peu plus tard, j’avais lu la bible et le coran en entier. Alors que les enfants de mon âge lisaient les thrillers et policiers en vogue de l’époque, moi j’adorerais me perdre dans les milliers de pages de mon Larousse illustré. J’apprenais de nouveaux mots, j’apprenais les schémas, je mémorisais les illustrations plus ou moins complexes. L’encyclopédie était devenue mon livre de chevet.

 

Au primaire, j’ai rencontré Timothée, un jeune garçon de ma classe au physique frêle et beaucoup plus grand que moi. J’étais toujours le plus petit de ma promotion. Nous avons découvert nos passions pour les sciences respectives si bien qu’il était devenu mon acolyte aventurier. Nous nous retrouvions après la fin des cours afin de réaliser des expériences les plus folles les uns que les autres. Je me souviens particulièrement l’une d’entre elles. On m’avait offert pour mon anniversaire un avion téléguidé sur roues. Ne pouvant retenir mon euphorie, le papier cadeau volait en lambeaux dès qu’il fut posé entre mes mains. Quelle fut ma déception lorsque je réalisais que l’engin se bornait à rouler sur le sol et ne volait pas. Un avion qui ne vole pas, quelle hérésie, à quoi bon lui coller des ailes factices alors ? On m’expliqua que l’appareil avait été confectionné pour rouler et non pour voler. Moi qui rêvait d’albatros, je me retrouvais ainsi à devoir me contenter d’une tortue. Je n’y pouvais m’y résoudre. Très vite, Timothée et moi nous sommes à la tâche – il fallait le faire décoller.

 

Il nous fallait plusieurs petits moteurs de jouets téléguidés. Très vite, je décidais de sacrifier deux de mes voitures télécommandées favorites pour la bonne cause scientifique. Timothée récupéra deux petits moteurs dans chacune d’elles.  A l’aide d’une paire de ciseaux que nous avions fait chauffé au briquet, je découpais des hélices approximatives dans du plastique semi-rigide que je fixais ensuite sur les moteurs sur les ailes de l’aéronef à l’aide de fils de fer et de colle forte. Timothée s’occupait ensuite de relier les moteurs à un boitier d’alimentation électrique. Nous avions réussi, en principe. Nous sommes sortis en fanfare de la salle de classe dans laquelle nous nous étions réfugiés afin de s’assurer du succès de l’opération.

 

  • Tu l’allumes ?

 

  • Tu ne veux pas le faire toi ?

 

  • Allez Alexandre

 

  • Bon d’accord, donne-moi la télécommande, lance les moteurs.

 

  • Je m’en occupe. Tu penses que la météo est propice. Il y’a un peu de vent non ?

 

  • Bah justement, ça devrait améliorer sa portée non ?

 

  • Sûrement. Allez, je ne peux plus attendre, fais-le décoller.

 

L’engin à terre s’anima à nouveau et s’avança, de plus en plus rapidement. Il était évident que les petits moteurs avaient accru sa vitesse au sol.

 

  • Plus vite, plus vite
  • Bah je suis au maximum

 

Plusieurs tentatives n’y firent rien, il s’agissait là d’un échec patent. Nous avions réussi à fabriquer un aéronef bien plus rapide au sol mais pas assez pour lui faire prendre les airs.

 

  • Bah écoute, ce n’est pas grave, au moins on aura essayé.
  • Oui… Je pense qu’on aurait dû trouver des moteurs encore plus puissants que ceux là.

 

Une fois rentré, je retrouvais ma caisse à jouets et y jetais, l’air dépité, notre chimère technologique qui retrouvait dans un bruit sec mes deux voitures téléguidées éventrées pour sa création.

 

Ce ne fut que plus tard que le diagnostic fut posé par une psychologue d’une quarantaine d’années dont les ongles des mains semblaient jaunis par le temps ou une consommation excessive de cigarettes.

 

  • Votre fils est surdoué, il a un quotient intellectuel beaucoup plus élevé que la moyenne

 

Ma mère marmonnant d’un air confus

  • Je… ne peux pas vraiment dire que je suis surprise. Mais à quel point… l’es t’il ? surdoué je veux dire ?

 

  • Madame, on ne peut pas malheureusement ‘quantifier’ de manière précise ce don tant l’intelligence est une notion évasive qui peut se manifester de diverses façons… une danseuse étoile à l’opéra, un champion de natation ou encore un vendeur exceptionnel ont par exemple un talent qui les sort nettement de la norme et on pourrait en effet conclure qu’ils sont surdoués.

 

Le regard interrogeant de ma mère encouragea la dame aux épaisses lunettes carrées à compléter ses propos :

 

  • … Mais je peux néanmoins pour dire qu’il est… très précoce. Sa maturité… sa curiosité… sont stupéfiants. J’ai rarement eu à faire à de tels jeunes patients.

 

  • D’accord, bien sûr… je comprends. Vous pensez que cela va nécessiter une attention particulière ? un suiv..

 

  • Je ne peux pas vous cacher que cela va impliquer dans le développement de…

 

  • Alexandre.

 

  • Pardonnez-moi, oui…Alexandre.

 

La spécialiste se leva péniblement de son fauteuil en cuir brun qui émit comme un bruit aigu de soulagement laissant découvrir une belle patine claire. Elle fit quelques pas sur la moquette mauve en direction de sa bibliothèque. Les livres semblaient classés avec une minutie dont elle celle connaissait l’énigme. Laissant ses doigts frêles glisser sur leurs couvertures en cuir, elle saisit une petite brochure qui était posée entre deux ouvrages assez massifs. Du même pas, elle rejoint son fauteuil qui émit un autre cri de plainte et tendit à ma mère ce document.

 

« Commençons par les aspects à surveiller » dit-elle, en reprenant son café qui semblait déjà froid.

 

  • Un grand nombre d’enfants et d’adultes surdoués souffrent de leurs aptitudes pourtant exceptionnelles, qu’ils vivent parfois même comme un handicap

 

  • Comment cela ?

                                

  • Et bien… ils vont par exemple avoir tendance à se soumettre à un niveau d’exigence élevé, ce qui peut parfois être parfois de vives frustrations. Pour un sujet ou une cause qui leur tient à cœur, il n'y a pas plus motivé qu’un enfant surdoué. Ce sont des gens qui ont une incroyable capacité à se passionner : ils ne comptent plus leur force, leur énergie. Ils deviennent alors corvéables et disponibles à 100%. En revanche, si un sujet ne les intéresse pas, ils ont beaucoup de mal à s'y mettre. Leur motivation n'est pas universelle, mais ciblée.

 

Ma mère baissa les yeux vers ses mains qu’elle tenait en croix sur ses cuisses puis m’adressa un regard dans lequel je pouvais lire tout l’amour et toute la tristesse du monde, puis elle les leva à nouveau vers la psychologue et commenta :

 

  • Il est… vrai… qu’il est parfois difficile de l’emmener à faire des choses qui ne l’intéressent pas…

 

  • Exactement, même lorsqu’une activité les passionne, l’appétit se perd assez vite. Et naît une envie d’autre chose. Ces enfants ont constamment un besoin de nouveauté. La répétition au quotidien est quelque chose qui leur est particulièrement difficile.

 

Un silence qui semblait long comme les nuits d’hiver emplit la pièce de sa lourdeur. J’en profitais pour parcourir de mes yeux curieux les bibelots et diverses curiosités qui trainaient sur le bureau en bois sombre qui nous séparaient de la thérapeute.

 

Elle avala encore une gorgée de son café froid. J’ai toujours détesté le goût du café. Je ne pouvais pas comprendre comme elle pouvait apprécier déguster ce breuvage ; je comprenais encore moins qu’elle prenne plaisir à le déguster froid. Elle posa délicatement sa tasse blanche dont les bords étaient tachés d’auréoles brunes et reprit :

 

  • Et par ailleurs, nombre de ces enfants éprouvent un manque de confiance en eux, sont en situation d’échec social, sentimental, ou professionnel, et ont du mal à s’intégrer dans la société plus tard lorsqu’ils ne sont pas élevés conscient de leur différence.

 

  • Mais… mais dans ce cas… comment lui assurer la meilleure éducation ? le… le… meilleur encadrement ?

 

  • Je pense qu’il est important que lui même et que l’ensemble de ses proches prennent conscience de sa douance, de sa différence et qu’il soit encouragé à l’exprimer. S’il ne souhaite pas s’investir dans une activité, n’insistez pas trop.

 

  • Je comprends…

 

  • Encouragez-le à se faire des amis, à sociabiliser, à partager sa curiosité. Généralement, Les adultes surdoués issus de familles qui ont encouragé leurs intelligences émotionnelle et relationnelle savent se faire des amis, sont charismatiques, deviennent des leaders. Il faut constamment le nourrir intellectuellement et laisser libre court à son imagination qui semble très fertile.

 

  • D’accord, nous allons y faire attention et… faire au mieux. Merci Docteur.

 

  • Mais de rien.

 

Puis le médecin se pencha sur son bureau, rapprochant son visage du mien. Je pouvais voir mon reflet sur ses lunettes qui semblaient opaques, réfléchissant la lumière blanche du lampadaire qui était posé dans un coin de la pièce, près de la fenêtre qui donnait vue sur une petite cour intérieure.

 

  • Alors, mon petit Alexandre

 

  • Oui madame ?

 

  • Tu veux un bonbon ?

 

Timide, je n’osais pas acquiescer.

 

  • Allez tiens.

 

  • Merci madame

 

 Sur le chemin du retour alors que les talons hauts de ma mère tapaient sur le pavé et que je savourais ma sucette, aucun mot ne fut échangé. Je ne savais pas bien ce qui venait d’avoir lieu. Précoce ? Je ne comprenais pas bien les conséquences d’un tel diagnostic mais je voyais bien que cela semblait écraser ma mère de nouvelles responsabilités.

 

Ce jour là, telle un shaman, telle une cartomancienne, cette vieille femme aux mains jaunis semblait avoir lu mon avenir dans le marc de son café froid. Cet avenir semblait flou et semblait éveiller des craintes dans mon entourage. Quand je vous disais que je n’aimais pas le café…

 

Je suis un jeune précoce, un garçon surdoué qui n’aime pas le café.

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Nirvana

Publié le par Dorian Gay

Regardez encore ce petit point. C'est ici. C'est notre foyer. C'est nous.

Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous ce dont vous avez partagé l'intimité, tous ce que vous avez hait, ceux qui ont partagé vos rires et vos tourments, tous les êtres humains qui aient jamais vécu.

Toute la somme de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions aux convictions assurées, d'idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les patrons et tous les soumis, tous les riches et tous les gens qui meurent de faim, tous ceux qui fabriquent et ceux qui consomment, ceux qui assemblent le dernier Iphone pour une bouchée de pain et ceux qui font la queue pour l'acheter, tous les créateurs et destructeurs de civilisations, tous les rois et tous les paysans, tous les jeunes couples d'amoureux, tous les pères et mères, tous les enfants plein d'espoir, tous ceux qui sont morts-nés, les fous et les sains, les inventeurs et les explorateurs, les génies et les cancres, tous les professeurs de morale, tous les politiciens corrompus, toutes les “superstars”, tous les “guides suprêmes”, tous les saints et pécheurs de l'histoire de notre espèce ont vécu ici, sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.

Un grain de poussière.

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Un Objet Noir Aux Reflets Acier

Publié le par Dorian Gay

Avant propos: ces quelques lignes annoncent le premier chapitre d'un roman autobiographique de 200 pages, à paraître d'ici la fin d'année, que vous pourrez trouver en librairie. Le titre n'est pas encore choisi.

 

Ceci va être le billet le plus vrai, le plus entier, le plus sincère que j’ai écrit au long de ces années. Vous êtes presque un demi million depuis le lancement de ce blog à venir, par curiosité ou par intérêt, lire mes quelques élucubrations. Mais je ne vous ai jamais vraiment rien dit, je n’ai jamais parlé de moi, celui qui se cache derrière ses lignes, tapi dans l’ombre des séquoias, celui dont on ne sait pas grand chose.

 

Je vais tout vous dire. Changeons de style, de forme. Asseyez vous. Vous voudrez du thé ? J’en ai ramené de l’excellent, à l’érable, du Canada l’été dernier.

 

Vous le voulez fort ou plutôt léger ? Je vais mettre de l’eau à bouillir. Ma bouilloire est particulièrement bruyante, je m’en excuse d’avance.

 

Vous le trouvez comment ? J’aime bien cette rondeur en bouche, cette note boisée assez prononcée, il est parfait pour les longs soirs d’hiver vous ne pensez pas ?

 

Prenez garde, la tasse est peut-être un peu chaude.

 

Quel est le premier souvenir d’enfance que vous avez gardé ? le tout premier ?  Vous en souvenez ? Il émerge ? J’ai lu que les enfants commençaient à conserver leurs souvenirs vers trois ou quatre ans. Prenez votre temps, réfléchissez bien, identifiez-le, isolez-le.

 

Pour ma part, je me souviens très peu de mon enfance, que quelques bribes volatiles. Je me souviens que j’avais une grande voiture rouge à pédales avec des roues avec des roues bleues, je me souviens que j’étais très maigre, je me souviens que je jouais souvent à poupée ou à la pétanque. Un ami de mon père m’avait offert ce set de boules de pétantes haut en couleur. J’aimais alors porter les talons blancs de ma mère et dessiner. Je dessinais absolument tout le temps, même dans les coins des pages blanches de la bible que m’avais offert ma mère. Elle était bleue, un format poche.

 

Mais mon premier souvenir je me souviens, en détail, avec une acuité défiant les limites de la réalité virtuelle. Je devais avoir deux ou trois ans à peine, je ne sais pas si je parlais encore. Je devais balbutier quelques mots certainement. Benjamin d’une fratrie de trois enfants, mes parents avaient divorcé quelques mois après ma naissance.

 

Ce soir là, ma mère était venue discuter chez mon père, lui ayant la garde de mes aînés, et ma mère la mienne. Vous savez en Afrique, les questions matrimoniales reposent souvent sur un arrangement plus ou moins négocié, plus ou moins imposé. Par ailleurs, on considère traditionnellement que la place d’un bambin est dans les jupes de sa mère et celle d’un adolescent ou d’un jeune adulte aux pieds de son père. C’était comme ça. Le juge, bien souvent, ne faisait que sceller un semblant d’entente dans une famille qui se déchirait.

 

La maison était tout bien rangée. C’était une très grande villa des quartiers riches de la ville. Le grand portail était bleu et blanc et donnait sur un immense jardin parsemé d’arbres fruitiers. Plus loin, surplombait une terrasse couverte, entourée de plusieurs colonnes de style romain d’un bleu topaze. La terrasse était recouverte de petits carreaux ivoire et ébène. Elle donnait sur l’entrée de la demeure. On pénétrait dans un salon cossu. Mon père était allongé sur le canapé, en short en en débardeur blanc. Le canapé était vert menthe. Ma mère assise plus loin, me tenait fermement dans ses bras. Je ne me souviens pas de son visage. Je me souviens de ses mains qui m’agrippaient fort, de ses battements de cœur, prêt à rompre à tout instant.

 

Je pouvais apercevoir des dizaines de bouteilles de bière entamées près de mon père. Puis soudainement, dans le silence, il s’est levé lentement et allé dans ses appartements.

 

Il est réapparu quelques minutes plus tard. Il a pointé quelque chose sur ma mère, puis sur moi. C’était un objet en métal, pas très grand, noir avec des reflets acier. Cela semblait affoler ma mère. Son cœur semblait vouloir s’extirper de sa poitrine. Cet étrange objet avait des pouvoirs magiques, celui de faire peur aux gens.

 

C’était un 9mm.

 

 

Il l’a tenu assez longtemps pointé sur moi, quelques secondes, quelques minutes, des jours peut être ? Ma mémoire flanche.  J’avais deux ou trois ans et j’ai compris ce jour là ce que c’était que la mort, sans pouvoir mettre un nom dessus.

 

Ma mère a pleuré, l’a supplié. Il a retourné l’arme et l’a frappé avec le manche, lui brisant l’arcade. Puis ma mère nous a saisis ma sœur et moi et a couru comme une folle pour nous sauver, courant vers son appartement, haletante. Elle m’a enfermé chez elle avec ma tante et est allée faire une déposition au commissariat. Aucune suite n’a été donnée.

 

Je me souviens de cette longue nuit, ma tante tentant de m’endormir, moi résistant jusqu’à l’aube, jusqu’au retour providentiel de ma mère. J’avais peur. Je craignais qu’elle ne revienne pas, qu’elle ne revienne plus, qu’elle ne franchisse plus la porte de notre modeste appartement dans les quartiers pauvres de la capitale. Et lui, j’avais peur qu’il vienne, qu’il nous retrouve, qu’il franchisse le portail.

 

Peur ? Peur. Mon premier souvenir, le premier sentiment éprouvé dont j’ai mémoire.

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