Billet Double : Blind Date Vs Marseillais Do It Better

Publié le par Dorian Gay

Billet Double : Blind Date Vs Marseillais Do It Better

PART 1 - BLIND DATE

A l’Andy Wahloo, dans le 3ème arrondissement, rue des gravilliers, un soir d’automne, je suis seul à une table, je dévisage une demie–bière en attendant ce garçon que je n’ai jamais vu. C’est le deuxième blind date de ma vie. Le premier avait flopé atrocement, non seulement le « jeune homme » comme il était vendu sur son profil sur internet n’était pas si jeune que cela, s’étant lifté d’une bonne vingtaine d’années; mais aussi car il affichait les intolérants affres visiblement non assumés de l’âge, et maladroitement camouflés derrière des jeans bien trop serrés, des boutons de chemises bien traîtres, une peau étouffée par une couche bien trop épaisse de maquillage – subterfuge. Vous imaginez mon stress.

D’abord, va-t-il savoir que je suis moi ? J’avais dit que je porterais un chandail rouge, mais mon seul chandail rouge était sale, alors je suis gris. En réalité, je lui avais dit que je porterais un polo rose et un béret noir. Je croyais qu’il n’y aurait pas grand monde dans la place, un jeudi à 21 heures, je ne sais pas. Je m’étais trompé, bien sûr. Plein de monde, plein de garçons seuls surtout. Comment je fais pour savoir qu’il sait qui je suis, comment je fais pour être sûr qu’il ne pensera pas que je suis l’un des autres ? Et s’il découvre qu’il s’est trompé de garçon et qu’il a l’air déçu parce que l’autre était plus beau ?

Puis lui, de quoi aura-t-il l’air ? J’ai la phobie des vilaines dents et des mono sourcils. Mon ami Hugues m’a dit qu’il était beau et brun, mais je n’ai pas pu placer ma question dans la conversation. Et il a un mono sourcil ? De belles dents ? Je me connais, cas échéant je risque de laisser transparaitre ma déception et de faire une fixation malsaine sur la bouche ou le front de mon interlocuteur tout au long du rendez–vous galant. Et si, au contraire, il est bien trop beau, je vais trembler comme quand je faisais des exposés oraux en anglais au secondaire. Je suis un trembleux.

Et puis de quoi on parle à un garçon avec lequel on n’a jamais conversé et que l’on a jamais rencontré, je vous le demande. Je ne suis pas charmeur, je ne suis pas bourré d’entregent, je ne suis pas Monsieur mots. J’ai une liste de sujets dans ma tête, en cas de vide dans la conversation, et si ma liste s’épuise, je pourrai toujours parler de ma liste. Je ne suis pas très interactif avec les garçons. Je préfère parler de moi, vous l’avez remarqué, sinon vous ne seriez pas ici, monologue sur ma vie et mes angoisses. Je ne sais jamais quoi poser comme question à un garçon pour lui montrer que sa vie m’intéresse. C’est parce que sa vie ne m’intéresse pas. Pas tout de suite.

Comment ai-je pu avoir tant d’aventures dans le passé ? Moi non plus je ne sais pas.

Dix minutes à dépenser autant d’énergie. Il est neuf heures pile, l’heure du rendez-vous, et je ne sais plus. Pourquoi je me suis planté dans ce bar impersonnel, pourquoi je m’en fais tant, pourquoi je réfléchis trop ? Je me fais mal à penser trop. Mes ongles sont morts, je les ai tous mangés, et pas juste les ongles, les doigts aussi, mal aux dents. Comment ça s’écrit pitoyable ?

***

Il est 23 heures. Il n’est pas venu. Je suis épuisé. Pour rien. Y’avait The Voice sur TF1. Merde.

Billet Double : Blind Date Vs Marseillais Do It Better

Part 2 - MARSEILLAIS DO IT BETTER* (Les Marseillais le font mieux)

Vous savez ce que je trouve de plus beau dans cette chose morne et bien souvent monotone qu’on appelle « la vie » ? Et bien ce sont les choses et les événements sur lesquels on n’exerce aucun contrôle. Ces moments où quelqu’un ou quelque chose, peut-être ce que des illuminés appellent « le destin », dieu, sheitan ou le hasard, tiennent les rênes de votre vie. Ces jours où vous vous retrouvez petite bille de métal froid dans un jeu de flipper, tantôt malmené ou béni par les règles du jeu.

Et ce qu’il y’a de poétique dans ces moments, c’est de constater qu’ils peuvent naître de tout. Tout comme un SMS que l’on reçoit neuf mois plus tard. Neuf mois comme une naissance.

Billet Double : Blind Date Vs Marseillais Do It Better

Je n’allais pas bien en fin d’année, névroses vivaces et pétulantes. Paris m’ennuyait et m’asphyxiait. Je me réveillais avec la lancinante sensation de revivre inlassablement les journées de la veille, de la veille de la veille, ces mêmes rituels, ces mêmes conversations tantôt cyniques ou niaiseuses à la machine à café, ces mêmes 17 minutes de trajet par jour, ces mêmes invitations par ci et par-là qui riment avec fleurs ou bouteille de vin, ces mêmes événements auxquels on assiste par complaisance, s’efforçant de sourire et de répéter toujours aussi inlassablement à des personnes que l’on croise inéluctablement, l’Hymne du Parfait Parisien Mondain : je vais bien - tout se passe bien – telle expo était sublime – je vais ici en vacances – on devrait se faire une bouffe un de ces quatre tiens.

Le remariage du patriarche de la Famille qui affiche 82 belles années et une santé qu’il m’arrive moi-même de jalouser, avec D. , (beaucoup) plus jeune mondaine en octobre à Saint Tropez, où s’était exilé mon grand-père il y’a une dizaine d’années tombait donc à point nommé, espérant que l’air méditerranéen, le style de vie indolent de la Côte d’Azur ainsi que l’euphorie qui entoure tout projet matrimonial, auraient vite fait de tordre le cou à cette routine pernicieuse.

Je ne frétillais pourtant pas d’impatience et d’enthousiasme à l’idée de passer deux semaines sous le même toit que le patriarche dont la réputation terrible de maniaque-colérique-psychorigide-capricieux qu’il traînait depuis toujours suffisait à refroidir toutes les ambiances des rares fêtes de fin d’années auxquelles quelques valeureux membres de la famille osaient encore le convier.

J’avais donc emprunté une voiture et pris l’habitude, dès l’aurore, de parcourir des centaines de kilomètres dans les profondeurs de la région, seul, m’arrêtant dans quelques villages dont le charme m’interpellait, et ne rentrais qu’à la tombée de la nuit à la maison, où j’ avais insisté pour occuper la maison d’ami, seul, qui avait l’avantage de se trouver certes sur le même terrain que celle où s’entassaient tantes et cousins, mais à 400 mètres de cette dernière, qui étaient largement dissuasifs.

C’est après une journée comme celle–ci, poussé par une curiosité presque exceptionnelle que je me suis retrouvé sur un site de rencontre régional. Et c’est sur ce site que Jean-Baptiste m’a très naturellement abordé, peut être même trop naturellement, et dont les messages fréquents ponctuèrent une bonne partie de mon séjour Tropézien. Il était beau. Il était gentil et semblait intéressé, outre le dialogue sympathique, par quelque chose de beaucoup plus durable et qui s’inscrirait dans le temps.

Marseillais, il avait insisté pour effectuer le trajet de deux heures en voiture qui séparent Marseille de Saint Tropez dans le seul dessein, très flatteur, de passer une soirée avec moi avant la fin de mes vacances.

Et c’est face à un tel engouement, exceptionnel pour moi, que mes démons ont refait surface, ceux-là même qui n’acceptent pas les rencontres « trop faciles », trop simples, trop spontanées, trop flatteuses, comme si chaque rencontre potentiellement intéressante devait se mériter à la suite d’une longue bataille psychologique, hormonale et stratégique de séduction et d’argumentation.

Je lui ai donc opposé moult objections et prétextes afin de refroidir ses ardeurs : « c’est bien trop loin, aurons-nous vraiment le temps ? Et puis moi je repars bientôt ». Objections qui ne venaient que camoufler maladroitement l’envie d’y croire, de couver l’utopie selon laquelle tout est possible. Envies très vites étouffées par les peurs diverses qui enfouissent leurs racines dans mes expériences antérieures et ma crainte presque phobique des relations à distance.

Je croyais donc, du haut de mon cynisme et de mes tentatives d'auto-conviction que cet intérêt mutuel, qui était à mon sens, de toute façon voué à stérilité, s'était éteint, après mon retour à Paris et l’évanescence de progressive de nos conversations virtuelles.

9 mois sont donc passés, 9 mois qui effacent, classent, trient toutes ces relations éphémères. Je n’aurais cependant pas dû sous-estimer Jean Baptiste comme le prouve ce premier SMS.

18h15, avenue de Madrid, il a loué un appartement pour son séjour. J’ai passé 3 minutes à me recoiffer dans la glace de l’ascenseur. Je n’ai sonné qu’une fois. Des bruits de pas qui résonnent sur un vieux parquet se font entendre dans un bruit croissant. La porte grince et s’ouvre. Il apparaît et nous restons là, lui tenant la poignée ronde de la porte et moi les ances d’un sac bien trop lourd, quelques secondes à se demander ce que l’on fait là, et surtout qu’est-ce qu’on aurait bien pu faire là si cette journée passée si vite n’avait pas pris cette tournure.

Puis il a ouvert une bouteille de rouge qu’il avait ramené du Sud "par anticipation", a commandé des sushis, m’a demandé si j’aimais, j’ai répondu d’un « oui » vide de circonstance, encore frappé par l’irréalité du moment. Il a répété une dizaine de fois qu’il n’était pas fou, plus pour se convaincre que pour m’en assurer, je lui ai dit qu’il avait de grandes mains et je me suis réveillé, le lendemain dans cet appartement bien trop propre, bien trop calme, après une nuit bien où nous fûmes bien prolixes, dans des draps bien froissés qui sentaient mon propre parfum et le shampoing boisé d’un brun qui avait l’accent chaud et chantonnant du sud dont il m’arrive de tant me moquer, un brun encore endormi et un peu fou qui semble bien m’aimer depuis quelques temps et qui défie effrontément mes peurs. La fenêtre est ouverte sur rue vide, l’air est frais et humide, chargé d’odeurs de vies qui se réveillent et de nuits qui s'évaporent. Puis de grandes mains vous font la surprise de vous tenir la taille. Et, sans savoir pourquoi, sans savoir comment, vous éclatez d'un rire sonore, juste amusé et béat devant cette vie bien drôle et bien rigolote.

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S
Blind date, concept jamais testé faut être courageux pour le faire
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