BLOW THE BUBBLE

Publié le par Dorian Gay

BLOW THE BUBBLE
BLOW THE BUBBLE

Au nombre des mystères insolubles et insondables de la nature masculine, celui qui occupe mes pensées et réflexions en ce moment n'est nul autre que l'âge.

Au détour d'une conversation stérile et insipide comme on en compte pléiade par jour sur les réseaux sociaux, le débat fut jeté : à moins de trente ans, trente années synonymes d'expérience, de maturité, de stabilité, est-il ambitieux d'avoir des aspirations plus durables que de simples plaisirs charnels? En d'autres termes beaucoup moins lyriques : aspirer à une relation relativement sérieuse, la trentaine non amorcée, relève-t-il du pur caprice de jeunes? Comme on offrirait à un bambin une voiturette en plastique, jusqu'à ce qu'il ait l'âge de passer son permis de conduire et de s'offrir une voiture.

Je dois avouer que la question est particulièrement intéressante lorsque, de façon récurrente, sur fond de déclarations subjectives et péremptoires, on vous oppose des "mais tu es beaucoup trop jeune pour cela", "tu es si jeune, tu devrais t'amuser pendant les dix années à venir et chercher à te poser que quand tu auras vraiment profité de la vie".

BLOW THE BUBBLE

Lorsque l'on creuse d'avantage les fondements de ces affirmations, les raisons avancées sont relativement simples quoique discutables : on n'aurait pas avant cet âge, apparemment fondamental, toutes les clés, toute l'expérience, tout le vécu nécessaire à s'assurer un couple sain, stable et un tant soit peu heureux.

Ces affirmations dogmatiques ont pour don de m'exaspérer au plus point et cela à plusieurs titres.

D'une part, j'estime que cette interprétation de ce qu'est censé être l'évolution "normale" est profondément réductrice. Je ne vois aucune once de justification au précepte selon lequel ces années 20-30 ans seraient sensées êtres les années folles de nos vies. Je crois au contraire que tout est une question de choix et de style de vie. Chaque période d'une vie, chaque étape de cette route en sens unique offre une vision de la plénitude, du bonheur, différentes. Et je considère que si certains se complaisent à penser que la plénitude du jeune gay commun consiste en un épanouissement rythmé par nuits d'ivresse, nuits charnelles et nuits festives, sur fond de musique pop et de débauche pré pubère, cela reste un stéréotype particulièrement pauvre.

Que ne faut-il pas entendre de plus subjectif : qu'à 30 on est prêt à se poser? Qu'à 35 on doit adopter ? Qu'à 40 on est épanoui professionnellement ? Qu'à 50 on boit du thé toutes les après-midi et se réalise devant l'intégrale des feux de l'amour?

Il n'y a pas de norme à établir, car rien n'est plus subjectif et plus stochastique que la nature humaine. Il s'agirait presque de vouloir mettre des cailloux de gabarits différents dans des boites rondes uniformes.

D'autre part, si il mathématiquement indéniable qu'à 30 ans on a vécu plus longtemps et potentiellement roulé sa bosse, cette affirmation n'est pas absolue. Des jeunes dotés d'une maturité exceptionnelle et à contrario, des trentenaires qui ne veulent pas vieillir en esprit sont de plus en plus légion.

On m'opposera, chose classique, que ces jeunes qui aspirent à une relation non éphémère ne vont que, tête butée, vers regrets à posteriori de ne pas avoir vécu leur vie de jeune. Je renverrais ces contradicteurs à la question suivante : un tandem, une telle relation n'est-elle pas une des plus enrichissantes expériences justement ? Une de celles qui vous modèle, vous façonne, vous murit le mieux ? Et si c'était encore là une alternative à ce stéréotype de la "vie de jeune" si entretenu?

Qu'on me comprenne bien, je ne plaide pas et ne m'insurge pas contre ceux qui entretiennent cette vision du levier 20-30 ans, je plaide juste pour une ouverture d'esprit sur la question, afin que chacun, puisse dans sa singularité et ses aspirations personnelles, trouver épanouissement sans qu'on lui renvoie en pleine face ces idées arrêtées et peu progressistes. Parce qu'il y'a autant de jeunes gays qu'il y'a de schémas possibles, parce qu'il y'a autant de jeunes que d'aspirations, parce que la jeunesse gay est plurielle tout simplement.

Sujet tout autre qui nourrit ma réflexion depuis quelques jours déjà : la solitudine. Si le sujet est tabou depuis toujours car va avec antinomie avec le cliché de l'homosexuel toujours bien entouré, de l'homosexuel sociable et fêtard, la réalité est bien outre : le phénomène de la solitude gay est incommensurable. Pourquoi? J'ai quelques pistes …

1) Le milieu gay est inadapté, particulièrement en France

Les personnes LGBT voyagent et elles voient bien qu'à l'étranger, il y a des endroits qui permettent une meilleure entente, une meilleure ambiance, et plus de diversité. La solitude française, c'est tout d'abord une carence des initiatives. Le business gay nous offre sans cesse les mêmes variantes de la même franchise. Le Marais devient étouffant, stéréotypé, clivant, dans son cadre, son ambiance, son esprit étriqué, l'effarante lacune des nouveaux concepts. Quand un nouveau bar ouvre ses portes, il ne s'agit de d'une énième réédition du même concept avec plus de déco et un serveur un peu plus barbu et athlétique que son prédécesseur, c'est tout. Une impression de déjà-vu perpétuel, une aussi standardisé que la recette du Big Mac, des consommations chères, une sensation d'étroitesse spatiale, collective, et accessoirement d'esprit.

Le Marais traite mal, le Marais est un microcosme dur et aussi froid que du béton, derrière un premier abord pailleté et enjôleur. On se bouscule pour aller au bar, on se bouscule sur le trottoir, on se bouscule pour parler. Année après année, ces établissements façonnent à nos dépends les principes basiques de savoir vire et influencent nos gestes, notre manière de se rencontrer aujourd'hui à l'ère du 3.0.

2) Internet n'est pas le bouc émissaire de la solitude

Internet, sangsue de pixels. The Atlantic nous apprenait récemment une étude qui montrait que la majorité des utilisateurs de Facebook considèrent que ce réseau social les rend plus seuls. Le même constat est transposable, à mon sens, à tous les réseaux de rencontres.

Même si la dureté d'Internet est précisément accentuée par la redéfinition du savoir vivre dans les bars et autres lieux du même acabit, cela n'est point une justification à la déshumanisation complète des rencontres virtuelles, aussi froides et sanglantes qu'un vulgaire 'tu suces?' jeté en pâture, comme on jetterait de la viande à des canidés hypoglycémiques.

La solitude reste grande mais elle est accentuée par cette sensation récurrente de rejet, transversale et endémique, mais qui ressemble aujourd'hui à un matraquage quasi normatif. Comme me disait un ami hier : "on sort, on rencontre, on sourit, on danse, mais au fond, le soir quand on se couche, qu'est-ce que se sent pitoyablement seul".

Entre ceux qui éludent le problème en entretenant l'illusion, soir après soir, bar après bar, changement de tenue après changement de tenue de combattre leur solitude et ceux qui, défaitistes accablés, s'en arrangent, le problème reste le même.

3) Because living alone is the new thang

La solitude chez les gays, c'est le sujet le plus dramatique de tous, peut-être plus que la maladie, parce que ça touche beaucoup de monde et qu'on est tous censés faire bonne figure, tout le temps, sur les sites de drague, dans les bars, partout. Le mec seul de la bande, c'est celui que l'on plaint gentiment et avec la charité chrétienne que l'on nous reconnait fortuitement mais c'est celui qui fait tâche. Celui à qui on propose à la fin de la soirée, une énième soirée où, du haut de notre altruisme, "nous lui présenterons, l'ami du cousin de l'oncle d'un tel avec qui on pense que cela pourrait coller".

Searching to find the one, vous pouvez passer ainsi trois ou quatre ans ou plus. Une étude récente montre que la crainte N°1 des homosexuels, c'est d'être seul. Et pourtant, vous pouvez chercher sur Google, il n'y a pas beaucoup de livres ou d'outils pour calmer cette angoisse. Chaque jour, la répétition du même échec est une marginalisation qui s'accentue. La solitude est le sentiment le plus suicidaire parce que c'est un constat qui vous est sans cesse envoyé à la figure. Vous avez beau faire des choses intéressantes dans votre vie, créer une entreprise, aider les autres, faire des choses, vivre selon des principes corrects, vous faire remarquer, rien ne peut faire oublier ce stigmate social. C'est votre lacune, votre faiblesse, votre croix du calvaire, votre talon d'Achille.

Parfois, pas toujours, bien sûr, beuacoup restent ensemble dans un couple, malgré les conflits, parce qu'ils ont peur d'être seuls face à leurs amis, leur famille ou la société, ce qui est à mon humble avis, l'une des raisons de la multiplication des schémas de couples dits libres. L'identité gay impose déjà beaucoup d'efforts pour s'assumer et s'imposer à l'entourage, à la société, mais c'est la capacité d'aimer et d'être aimé qui sert de récompense à mon avis, à ces efforts. Affronter ce parcours et subir en finalité la solitude, c'est une incohérence, c'est le meilleur moyen pour basculer dans une certaine d'amertume, d'aigreur tout aussi destructrices que vicieuses.

4) Pilule contre l'absence

Pour survivre jour après jour l'absence de quelqu'un que l'on a passé sa vie à imaginer, il y a l'industrie de la psychanalyse et de la foi, il y a tous les dérivés commerciaux que l'on avale avec frénésie pour combler un vide immense. La solitude est le moteur qui alimente beaucoup d'industries et une grande part de l'économie moderne.

Je pense que tout ce que l'on fait dans sa vie, c'est bien sûr pour soi, égoïstement, mais c'est surtout pour cet autre que l'on se complait inconsciemment ou non à attendre. Une maison, un appartement, un jardin, une musculature, toutes ces choses qui au fond ne sont pas que pour nous.

Vous édifiez une carrière, vous créez un chef d'œuvre ou même vous faites une très bonne tarte aux prunes, si vous n'avez personne à qui l'offrir, c'est juste un message dans une bouteille qui se perd dans la mer. Et au fond, cela me rappelle avec ironie les bowerbird, ces oiseaux qui font des nids sur le sol qu'ils décorent avec des pierres brillantes, des bouts de bois, pour attirer leur compagne. A notre époque, tout le monde fait ça. Jamais, dans la civilisation moderne, nous n'avons eu autant d'artefacts brillants à disposer sur le sol pour attirer l'âme sœur, le compagnon, le mari.

Mais malgré FB, Grindr, les sites de rencontre, les bars, les clubs, les associations LGBT conviviales, le tourisme gay, la Gay Pride, le mariage et l'homoparentalité, gays ou hétéros, la solitude reste une plaie. Et plus on dispose d'outils pour se rencontrer et plus la solitude devient épaisse, toxique.

Il est temps de se poser des questions sur ce que ça veut dire, de notre contribution à cet éloignement progressif des uns et des autres, de cet apartheid amoureux entre ceux qui sont seuls et ceux qui ne le sont pas. Au lieu de se tourner sans cesse vers la société pour l'accuser de tous les maux, il faut bien se regarder pour évaluer ce que nous faisons, réellement, pour réduire cette distance entre hommes encore plus pernicieuse.

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K
je découvre ton blog,je trouve tes papiers très intéressant!<br /> dans ton article il y a du vrai mais je pense que n'importe quel être humain ressent de la solitude,mais il est vrai que cette solitude est beaucoup plus dure a vivre en étant homosexuel je pense.
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S
La solitude ? Peut on dire que la solitude serait un mal gay ? J'ai Cinquante an jai connu de blles expériences dont certaines auraient pu se terminer en vie commune oui mais voilà la vie en a voulu autrement . Et quand je dis la vie je devrais dire Je. Au sens social du terme je vis seul bien qu'un jeune homme partage ma vie et il peut m'arriver de me sentir seul . <br /> <br /> J'ai des amis que j'aime et qui me disent m'aimer et quand ils sont loins il peut m'arriver de me sentir seul. <br /> <br /> Non la solitude n'est pas le mal des gays. Le vrai mal c'est que sans argent et tout ce qui va avec, passé un certain age, quand ne goute pas nécessairement d'enchainer des plans culs, disparaitre du regard des autres du fait de son age rend parfois malade de solitude et ca ce n'est pas réservé aux gays
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V
J'ai bien aimé la réflexion, cool pour un retour.
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D
Merci ! Heureux que tu apprécies
S
Vivre électric ? euuuuuuuuuuuuuuh ?
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