Rois Des Ombres

Publié le par Dorian Gay

Rois Des Ombres

Parfois je me complais, avec un certain dolorisme à imaginer comment seraient les choses si elles avaient évolué différemment. Je me demande ce que serait mon existence actuelle si j’avais fait des choix différents, si à des moments décisifs de ma vie je m’étais laissé tenter par d’autres alternatives, d’autres schémas - si devant le dilemme de certains arbitrages d’importance diverses, j’avais laissé la balance pencher plus d’un côté que d’un autre.

Dans ces moments rares, mon imagination ère sans doute sur des territoires stériles car je sais bien que je n'en saurais assurément jamais rien mais je ne peux réprimer cette envie de réécrire l’histoire, de faire marche arrière, d’arracher une page souillée par l’encre et de tout corriger.

L’avenir m’angoisse parfois car je ne sais pas. Le passé m’angoisse davantage car, à la fois, je sais et je ne sais pas.

Je ne sais pas ce que j’aurais été à cette heure-ci, alors que mes doigts pianotent frénétiquement sur le clavier noir et blanc alors mon thé vert infuse, si ce jour de l’été 2013, sur cette terrasse des grands boulevards, entre plusieurs regards maladroits, je n’avais pas annoncé à Romain que je voulais mettre fin à notre relation de trois ans.

Je ne serais pas ce que j’aurais été à cette heure-ci, si après une expatriation réussie à Londres et une rencontre professionnelle inattendue, je n’avais pas décidé instinctivement de revenir vivre à Paris alors que rien ne m’y attendait et que tout était à reconstruire.

Je ne sais pas ce que j’aurais été à l’heure où je couche ces lignes si je m’étais battu un peu plus pour certains hommes qui m’ont aimé et si je m’étais battu un peu moins pour ceux qui ne m’ont pas aimé.

C’est terrible ce vertige qu’est le passé. Si on vous dit le contraire, c’est un mensonge.

Le passé n’est jamais derrière nous. Nos choix et non non-choix composent chaque petit atome, chaque détail de ce que ce qui compose nos existences. Il pèse, on le hume, on le respire à plein poumons. Certains s’en tirent juste mieux que d’autres.

Je pense que je m'en sors plutôt bien. Il y’a quelques semaines, je dînais avec un ami qui, au sommet de son humour, m’a demandé quelle serait la taille du véhicule dans lequel pourraient tenir tous les amants qui ont émaillé mon passé. J’avais spontanément répondu un tramway.

J’ai peut-être manqué d’honnêteté – mais répondre « un airbus A 380 » me semblait être peu approprié pour le moment.

Des hommes j’en ai connu. Beaucoup. Des grands et des moins grands, des bruns et des moins bruns, des beaux et des moins beaux, des intelligents et des cons, des gentils et des moins gentils mais très peu sèment en moins un souvenir, encore moins un sentiment de nostalgie.

Les pages se retournent avec la caresse d’un doigt, les unes après les autres.

J’ai beau avoir connu un certain nombre d’hommes et avoir sondé un certain nombre de corps et d’âmes, j’aborde toujours chaque nouvelle rencontre avec une certaine innocence et une fraicheur candide. Une faiblesse plus qu’une force.

Je n’ai jamais compris les hommes et je n’ai pas la prétention d’y arriver un jour : je me protège juste dans la mesure du possible.

Xavier est entré dans ma vie il y’a quelques semaines comme beaucoup avant lui– par un petit « blop » caractéristique de toutes ces applications sur lesquelles nous nous exposons, vendons, marketons le petit espace virtuel individuel qui nous est octroyé, afin de plaire mieux que le voisin, afin de retenir une quelconque attention.

Nous avons discuté autour des fêtes de fin d’année – de façon sporadique certes, mais sympathique.

De banalité en banalité j’en vins à proposer une rencontre en début d’année – initiative assez rare pour être soulignée.

Café de l’Institut Suédois dans le 4ème, 13h30. Il portait un pull vert empire et un sourire étrange, indéchiffrable qui transpirait à la fois la mélancolie et le bonheur. Un sourire comme un vêtement. Nous avons pris un goûter, discuté travail, vacances, aspirations, et toutes les banalités qui s’échangent entre êtres qui s’apprivoisent avec maladresse.

Trois heures plus tard il me proposa avec une certaine spontanéité de l’accompagner à la Place de la République afin de laisser épanouir notre curiosité le lendemain du rassemblement qui avait fait gronder les rues quelques jours après l’attentat qui a eu lieu à Charlie Hebdo.

J’acceptais, sans pouvoir deviner si s’agissait de sa part d’une réelle envie de poursuivre cette rencontre sous le ciel de Paris particulièrement clément ce jour-là ou d’une marque de politesse spontanée noyée dans une trop bonne éducation. Mon état de confusion est profond – pendant tout le rendez-vous, Xavier avait évité mon regard et persistait à nourrir la conversation que nous entretenions en gardant le regard perdu au-dessus de mon épaule.

J’exècre les premières rencontres. Je hais ce sentiment ballotement, de précarité, cet imbroglio qui suit les premières rencontres. On ne sait pas si on a plu, on n’ignore si les premières impressions et les premières volontés sont convergentes – on redoute si le « à bientôt » qui viendra clore ces rencontres sera sincère ou de principe.

Je ne pense pas cela prenne racine dans un manque de confiance en moi, en tout cas point profondément. Je présume qu’il s’agit davantage d’une tendance à me protéger de toute éventuelle déception, tout malentendu qui pourrait laisser sur un ego déjà fragile davantage de fêlures.

Je fais donc le minimum lorsque je suis ouvert à des rencontres ultérieures : j’exprime un intérêt clair et tend une main franche à mon rendez-vous en espérant la réciproque de sa part.

Et lorsque je n’en reçois point, je me demande obsessionnellement si je dois laisser plus de temps à mon interlocuteur ou écourter l’entrevue. Je ne redoute rien de plus que le sentiment de désintérêt mêlé à celui de la politesse.

Nous nous retrouvons assez vite sur la place de la République et déambulons entre les caméras de journalistes qui parsèment encore le lieu. Toujours encore confus quant aux envies oscillantes de Xavier, je n’hésite pas à lui proposer de le laisser profiter de son après-midi. Il me répond assez spontanément que lorsque il souhaitera partir il le fera. Je l’ai enfin mon signe – je suis en confiance – l’étau se desserre.

Il me propose de faire un saut à son appartement afin de récupérer son sac de sport et les clés de l’appartement de son filleul – j’accepte volontiers.En chemin nous parlons goûts littéraires et je lui confie que je n’ai pas de nouvelle lecture depuis un certain temps. Il demeure silencieux.

Nous enjambons assez rapidement les marches de cet immeuble sur cour et nous retrouvons dans son séjour. Il disparait et réapparaît assez rapidement avec les affaires susmentionnées.

Alors que la porte de l’appartement se referme quelques minutes plus tard, il me tend un roman qu’il a ressorti de sa bibliothèque : « ça te fera de la lecture ».

Il me fallut quelques secondes et quelques bégaiements avant d’être en mesure de construire une phrase audible et compréhensible : « et bien merci… je ne sais pas quoi dire… je vais prendre du plaisir à le lire et je te le rendrais dès lors que j’aurais terminé ».

Nous nous séparons quelques minutes plus tard. Il me glissa entre les deux mouvements d’une bise : « à bientôt alors ».

Entre mes mains : « la nuit des princes charmants » de Michel Tremblay. Information inexprimée ? signe tacite ? symbole ? pure coïncidence ?

J’ai enraciné mon imagination dans le sol, me suis agrippé avec puissance au scénario le moins spéculatif et le moins poétique. C’était sans compter sur la campagne d’envergure de mes amis qui avait pour but de me faire réaliser qu’il s’agissait sans conteste d’une marque d’intérêt profonde.

Enivré, j’ai spontanément proposé une seconde rencontre les jours suivants – rencontre qui ne put se concrétiser en raison d’un conflit de calendrier.

Il n’en demeure pas moins que Xavier resta silencieux pendant tous les jours qui suivirent. 14 jours sans la moindre nouvelle avant qu’il ne rejaillisse du silence et qu’il me propose de ne pas rester sur l’échec de la seconde rencontre et que l’on se retrouve dans un lieu de son choix le lendemain. Il est alors 23h la veille. Je lui demande quel est le lieu auquel il fait allusion. Je ne recevrais la réponse à ce dernier message le jour même à 16h30, quand, m’étonnant de ne pas avoir de réponse à cette question déterminante, je lui adressais un second sms.

Little Red Door, 20h. Il arrive, arborant son sourire caractéristique – le mien est plus terne.

Une grande bière pour lui et un cocktail au rhum pour moi. Nous conversons assez naturellement et les légères remontrances s’évaporent dans la musique suave qui flotte dans l’air du bar.

Lorsque le fond des verres furent découverts, je lui tendis le roman qu’il m’avait prêté que j’avais dévoré et nous en discutâmes rapidement avant qu’il me demande ce que je voulais faire à ce moment avancé de la soirée. N’ayant pu me décider sur les différentes alternatives vertueuses qui s’ouvraient à nous, il me proposa de prendre un verre dans un autre lieu dans le 4ème.

Nous nous retrouvâmes seuls dans ce lieu noyé dans une lumière rouge chaude, et la soirée se conclut sous les coups de minuit.

Devant le bar, nous nous échangeâmes une paire de bises et il disparut sur son vélib dans la nuit froide.14 nouveaux jours - rien à l’exception d’un lacunaire « bon voyage ! » reçu alors que décollais pour Marrakech.

Elle m’a particulièrement blessé cette absence de nouvelles, cette absence de prises de nouvelles. Peut-être parce que j’avais édifié des châteaux sur l’ensemble des signes qu’il semblait m’adresser et que j’avais confiance. Oui je crois que j’avais réussi à y placer ma confiance.

D’habitude, je ne me permets pas ce luxe. Je n’accorde que peu de crédit à des hommes que je ne connais que si superficiellement - cela aura été un faux pas.

La page est déjà tournée, elle aura été juste plus froissée que d’autres. Restent aujourd’hui les questions, les interrogations, l’incompréhension et le sentiment amer d’avoir été désarmé par un homme insondable et dont le comportement frôle la schizophrénie.« De toute façon les hommes ne savent pas ce qu’ils veulent. Un jour ils se démènent pour que tu leur fasses l’honneur ne serait-ce que d’un regard et le lendemain, sans raison aucune, ils s’adressent à toi avec le plus lancinant des mépris » commenta ma sœur.

Même s’il s’agit d’une affirmation péremptoire, au vu de mes dernières expériences, je ne peux que lui accorder un certain crédit.Un autre épisode du même acabit remonte à la surface de mes souvenirs.

Ce devait être l’été dernier – je fais la connaissance d’un garçon qui venait de s’installer sur la capitale, Matthias. Après trois rencontres agréables spontanément proposées par lui et à l’aube de la quatrième qui devait intervenir à l’heure du déjeuner où nous nous étions donné rendez-vous dans une brasserie à mi-chemin de nos lieux de travail, je reçus un appel qui résonne encore en moi, avec la même force, la même douleur cuisante :

« Finalement je ne peux plus aller déjeuner. Un contretemps ? non, non, ce n’est pas ça. J’ai juste réfléchi ce matin et je me dis qu’on n’a pas grand-chose à faire ensemble en fait. Je n’ai pas trop d’autres explications ».

Ce jour –là, je m’étais juré que plus personne ne me ferait mal de la sorte, je m’étais juré que je devenais adulte et que je m’efforcerais d’être inatteignable, indestructible, fort.

Je n’aurais pas tout à fait réussi cette année.

Quel est le pire ? De nouvelles blessures, abominablement douloureuses ? Ou des blessures passées, qui auraient dû se refermer il y a des années, mais qui sont restées ouvertes ? Nos blessures passées nous apprennent peut-être quelque chose. Elles nous rappellent ce par quoi nous sommes passés, et ce que nous avons surmonté. Elles nous apprennent ce que nous devons éviter à l’avenir. C’est ce que nous aimons penser.

Mais les choses ne se passent pas de cette façon, pas vrai ? Il y a des choses que nous devons apprendre encore, et encore, et encore c’est qu’un jour on aura assez de chance pour oublier.

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S
J'aime bien ton blog et le poids de tes réflexions...
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[
Cela faisait longtemps que je n'étais pas venu ici... toujours beaucoup de plaisir à te lire. <br /> Les rencontres via la multiplications des réseaux sont devenues trop faciles... nous savons à peine ce que je nous ne voulons pas, nous ne savons pas vraiment ce que nous voulons mais malgré ça nous en voulons toujours plus... syndrome un peu &quot;gay&quot; d'ailleurs. <br /> Le début de l'article est intéressant par contre... parfois je voyage aussi dans mes mondes parallèles, ceux des choix mis de côté pour d'autres... ce qui me rassure c'est la sagesse de feu ma Grand-Mère qui me disait &quot;Il n'y a pas de mauvais choix&quot;. Elle était contrairement à moi très pieuse ; sans doute pensait-elle que notre destin est en quelque sorte guidé... Moi, je ne crois en rien, ni en dieu, ni en diable... mais cependant, je pense qu'il y a une certaine architecture de notre vie, que nous ne faisons pas des choix par hasard et que cela nous mène à quelque chose d'inscrit (peut-être génétiquement), un but ; et que tant que la mort ne passe pas, notre existence à une raison d'être et que chacun de nos gestes à une répercussion sur notre environnement, sur les autres, sur le monde... (un effet papillon en quelque sorte... j'suis adepte de la théorie du chaos :-D ) J'aurais tant à dire encore mais je suis déjà trop long... bises
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