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Wild Black Cat

Publié le par Dorian Gay

Wild Black Cat

C’est toujours étonnant cette manière primitive qu’on les gens de vous mettre dans un coffret hermétique, de vous coller à la peau une étiquette, un label, une marque, un code-barres. On s’arrête à la couverture du livre, on en lit parfois les premières pages et on conclut de façon bien hâtive que l’ouvrage est de bonne ou de mauvaise augure. Ces gens qui souvent pensent vous connaître mieux que vous même.

Vous êtes en surpoids? C'est que sûrement vous vous laissez aller. Vous portez une jupe trop courte? c'est que vous devez être une fille de mauvaise vie. Vous êtes comptable? vous devez être sans doute d'un ennui lancinant. Vous roulez dans une grosse berline? vous devez avoir quelque chose à compenser. Vous êtes arabe? vous êtes forcément musulman et vous mangez halal. Vous êtes asiatique? vous êtes sûrement discret. Vous êtes gay? vous devez forcément aimer faire la fête et avoir bon goût.

Peu de gens me connaissent réellement. Peu de personnes savent qui je suis, d’où je viens, et où je vais. Je me suis toujours attaché à entretenir une certaine image, lisse, polie, impénétrable, résolument mystérieuse depuis très jeune et me suis réellement ouvert aux autres de façon pleine et entière, sincère et fragile. Je n'aime pas parler de moi.

On m’a parfois reproché d’être un caméléon social, une chimère, un bloc de froideur et qu’il était parfois impossible de déterminer si j’agissais avec sincérité ou selon mes codes indéchiffrables.

On m’a targué d’être un intellectuel original, un être social insaisissable, un gosse de riche élevé au lait d’ânesse dans un appartement bourgeois du grand ouest parisien. A première vue, j’irrite : ma garde robe bien fournie et mes achats scandaleux et à la superficialité affolante et mes voyages incessants font miroiter une enfance dorée ; mes études et ma réussite professionnelle donnent l’illusion de la reproduction inévitable d’une certaine élite ; mes goûts vestimentaires renvoient à l’image de l’homosexuel amateur de luxe nécessairement écervelé et léger.

Pour beaucoup je suis donc Dorian, ce jeune de 24 ans, issu de l’élite d’une certaine immigration, élevé dans un milieu extrêmement aisé, donc la réussite et le destin ne pouvaient être que linéaires, entourés de parents influents, et qui, comme tous les gosses de riches ne devaient sa vie qu’à un certain nombre de facteurs extérieurs.

J’ai déjà eu ce type de remarques, parfois très explicites, d’innombrables fois dans ma vie.

  • « Alors papa est homme d’affaires et maman est médecin, tu étais dans un lycée privé ? »
  • « Ce sont tes parents qui t’ont aidé à trouver ce stage ? »
  • « Tu connaissais des gens ici quand tu as postulé ? »
  • « Ton appart est gigantesque, c’est toi qui payes ? »
  • « Je suis certain que ce tu portes aujourd’hui représente quelques SMIG »
  • « Ah oui Mr Dorian ne trainerait sûrement avec le prolétariat »
  • « Toi ? vivre dans le 18ème ? mais soyons sérieux deux secondes, tu as déjà traversé le périphérique »
  • « Ton père est un dictateur africain ? »

85 euros dans ma poche comme seul patrimoine. Voilà ce que j’avais dans les poches de mon jean slim ce 27 aout 2010 quand mon avion atterrissait à Paris, à 19 ans, sans personne qui m’attendait dans ce terminal d'aéroport bien trop plein pour un jeune bien trop seul.

Oui j’ai une enfance aisée, presque grotesque. Mon père, juriste reconverti dans la politique et dans les affaires avait très bien réussi sa vie et comptait parmi l’une des plus importantes fortunes de mon pays d’origine. Il avait quitté jeune son pays pendant l’époque coloniale, et avait été choisi parmi cette petite élite locale afin de poursuivre des études de droit en France, au terme desquelles il fut diplômé d’un doctorat en Droit et entama une carrière brillante d’avocat pénaliste, défendant hommes politiques, d’affaires ou intellectuels. C’est pendant ses études qu’il rencontra ma mère qui faisait ses études de médecine et de cette union improbable mes deux frères et moi furent issus.

Homme d’idées, il avait toujours également toujours été politique. Il occupa plusieurs mandats successifs au gouvernement avant de se lancer dans les affaires et de s’intéresser au secteur des mines et de l’énergie et d’y construire son empire.

3 mois après ma naissance, mes parents se séparaient. Je vécus 8 années auprès de ma mère avant de vivre mon adolescence avec mon père, ma belle mère et leurs deux enfants.

Donc oui, pendant plusieurs années, je n’ai manqué de rien, et ai pêché par excès. Nous avons toujours été inscrits dans des écoles privées indécemment chères. Nous avons été choyés par cinq employés à temps plein. Nous allions à l’école accompagnés en chauffeur et je ne me souviens pas d’une seule fois où mon père soit venu me chercher. Alors que tous les enfants du monde rêvent de cheval, mon père possédait toute une écurie ou étaient choyés une trentaine de chevaux de courses. Nous passions nos étés dans une des nombreuses maisons que mon père possédait sur quatre continents et je semblais alors vivre ce que je pensais être une enfance à peu près normale.

Sur les 2 dernières années précédant ma majorité, mon père ayant accepté un poste politique qui semblait l’intéresser, il nous entrainait dans son pays d’origine, le temps pour lui de réaliser ses projets.

Puis le château de cartes s’est effondré. J’ai toujours eu des relations difficiles voire chaotiques avec mon père. Ce constat s’étend à l’ensemble des autres membres de la famille qui n’ont jamais pu entretenir des liens sains avec lui. C’était un homme extrêmement brillant dont l’intelligence n’avait d’égal que la folie. Névrotique, lunatique, changeant, glacial, dur parfois violent, toujours manipulateur. C’est pour cela que ma mère préféra partir, blessée à vif.

Mon père n’exprimait jamais aucune émotion. En 24 ans de vie je ne me souviens jamais qu’il eu prononcé des mots affectueux. A personne. Jamais.

Sa dureté était phénoménale. J’ai toujours l’impression d’avoir été pour lui un énième placement financier, un cheval de course. Il nous plaçait en perpétuelle compétition avec les autres enfants de notre âge, ou lui même. Rien n’était jamais assez bien, assez grand, assez beau.

Je me souviens, étant brillant au cours de mes études, me précipiter tous les trimestres dans son bureau, mon bulletin de notes à la main et lui annoncer, le visage lumineux, que j’étais le deuxième ou le troisième meilleur élève de ma classe. Généralement, il lançait un regard las au papier que je lui tendais et répondait « ah… il y’a quelqu’un de meilleur que toi. Bon, il va falloir te prendre un autre prof particulier pour travailler. D’ici là plus de sortie. Je n’élève pas des deuxièmes sous ce toit. Sors. Je travaille ». Toute mon enfance.

Mon père avait également une tendance obsessionnelle à imposer ses choix à ses proches.

  • Papa, puisque je commence le collège, il faut que je choisisse une seconde langue étrangère. J’aimerais aller en espagnol, et en plus tous mes amis sont.
  • Tu feras arabe
  • Han ?
  • Oui, c’est une langue en plein essor dans le milieu des affaires. Et ça sort du lot.
  • Mais je n’ai pas envie et en plus ce n’est pas dans le catalogue des cours !
  • J’appellerais le directeur pour qu’il engage un professeur spécifique pour toi. Vas

Quand ma sœur obtint son baccalauréat, elle n’avait qu’un objectif en tête : travailler dans le tourisme. Il n’en était pas question pour mon père :

  • Si tu ne fais pas des études de droit, je ne financerais plus rien et tu ne seras plus ma fille.

S’en suivirent presque dix ans où ils ne se sont plus plus parlés. Pas une seule fois.

Quand se fut mon tour, mon père fut extrêmement déçu, s’imaginant déjà m’inscrire à Polytechnique. Sauf que j’étais davantage doué pour les lettres que pour les sciences et venait d’obtenir un bac littéraire. L’avoir obtenu à 14 ans et être l’un des jeunes bacheliers du pays n’était pas satisfaisant.

Il vécut cela comme un échec cuisant et l’idée de me faire admettre dans une prestigieuse école de commerce devint obsessionnelle. Je ne voulais pas et ne jurais que par le droit.

L’affrontement devint inévitable et je me retrouvais, un soir de 2010 alors qu’il avait prononcé des mots qu’il n’aurait pas du, et porté des coups qu’il n’aurait pas dû porter, à 15 ans dans la rue de notre villa, mes deux valises sous les bras. Avec 85 euros dans les poches de mon jean slim noir.

Ma mère avait une situation bien plus modeste. Elle avait commencé une brillante carrière avant que mon père l’enjoigne à rester à la maison et à s’occuper des enfants. Lors du divorce, elle n’emportait pas un centime, ni même une pension alimentaire en raison de l’influence de mon père et devait rebondir après une dizaine d’années de sommeil. Elle reprenait donc des études plus poussées et était assistée par sa famille. Et voilà qu’elle se retrouvait à élever toute seule ses trois adolescents qui avaient fugué du domicile paternel.

Les villas, les employés de maison, les professeurs particuliers, les lycées privés, l’opulence grotesque devenait souvenir et je découvrais une réalité précaire à en faire pâlir Cendrillon. Pendant ses études en tant que mère seule, ma mère avait des moyens extrêmement limités. Elle ne pouvait même pas s’offrir les services d’une nounou quand elle se rendait à ses cours, devant solliciter l’aide de sa sœur.

Avec ses quelques économies, elle avait réussi à faire partir mon frère aîné aux Etats-Unis pour ses onéreuses études de médecine, puis ma sœur.

En raison de mon excellent parcours j’étais accepté par certaines des meilleures écoles et universités du monde. Ma mère ne pouvait pas. J’avais assez de maturité pour comprendre et me résoudre à aller à l’université publique, à Paris. Je pense qu’aujourd’hui, le cœur de ma mère saigne encore en raison de ce qu’elle vit comme l’échec le plus cuisant de sa vie de mère : donner tous les outils nécessaires à ses enfants. Nous en parlons jamais. Au fond, je n’ai aucun regret et je n’aurais pas souhaité qu’il en soit autrement, cependant je sais que 8 ans plus tard, sa blessure reste toujours vive.

De l’étage entier de 120m2 que j’occupais tout seul dans la maison de mon père, je passais à une chambre insalubre de 9m2 sur le campus universitaire de ma faculté de droit, comptant à l’euro près mon budget et vivant de privations.

Je me souviens d’une période où les impayés de ma petite chambre ne faisaient que s’accumuler et je me demandais à quoi tout cela pouvait bien servir.

J’en ai fait des jobs étudiant : aide périscolaire, réceptionniste, maraicher sur une plantation de melons, enquêteur téléphonique et j’en passe. Mes journées étant chargées, devant généralement assister aux cours en journées et me rendre à mes emplois le soir jusqu’à tard et les weekends.

J’ai travaillé l’ensemble de mes étés, n’ayant jamais connu de vacances lors de ma formation.

Je me rappelle du souvenir surement le plus douloureux de cette période. Moi, frappant timidement à la porte du bureau de l’assistante sociale pour solliciter une aide exceptionnelle de l’Université afin de pouvoir éponger une partie de mes dettes locatives. Elle de me demander :

  • Et votre père fait quoi dans la vie ?
  • Milliardaire du pétrole et de l’uranium
  • Ah.

Avant de se plonger dans ses notes.

Mon dieu que j’avais la rage. Une rage indescriptible. L’ivresse de la réussite, de l’aboutissement. Une soif de vengeance, pas contre mon père, mais contre cette chienne de vie dans une cage dorée qui s’est muée en cage de roseaux fragiles.

Oui, moi Dorian. J’allais réussir, mieux que personne, plus que personne et sans personne. Tout seul.

Mes résultats universitaires ont suivi. J’étais successivement admis dans les meilleurs masters et la meilleure école de commerce du continent. Je n’avais pas les moyens de me l’offrir. J’ai contracté un prêt bancaire et ai accepté de devenir garçon au pair pendant toute l’année dans une famille juive richissime de l’ouest parisien. Ces mêmes gens que nous invitions à nos cocktails à la villa et avec qui nous parlions voyages exotiques, diners gastronomiques et folies capitalistes.

Je me rendais à l’école en journée et devait récupérer leurs deux jeunes filles à la sortie de l’école en fin de journée, les aider à faire les devoir et diner avec elles car leurs parents étaient bien trop occupés.

Les tâches étant souvent chronophages, je me retrouvais souvent à ne pas assister à des journées entières de cours, devant faire l’arbitrage entre ma formation certes cruciale et la nécessité primaire d’assurer mon quotidien.

Puis la chance m’a souri. J’ai été diplômé. J’ai été accepté en stage dans un des meilleurs cabinets d’avocats de la place parisienne, sans relations, sans coup de fil à un ami. Moi, Cendrillon des temps modernes. Petit noir, rageux, fiévreux, impétueux, fou, qui présentait bien et qui en voulait. Puis de fil en aiguille, un autre stage s’est présenté, puis un troisième, un quatrième…

Un de amis de fortune m’a gracieusement offert l’hospitalité pendant ces premiers mois de stage, me permettant de ne pas être trop loin du cabinet et m’y rendre facilement.

Avec mes indemnités de stagiaire, je pouvais bientôt me permettre de louer un petit studio dans un quartier parisien peu recommandable.

Dans ces différents cabinets d’avocats transpirant la vieille bourgeoisie catholique décadente parisienne. J’étais toujours presque le seul noir. Ce « noir pas comme les autres car lui il est intelligent et présente bien non ? ». Donc oui, moi je n’ai pas du faire comme les autres pour évoluer, j’ai du fournir le double d’efforts pour avoir la même reconnaissance. Je me rappelle de ces mots de ma grande mère que j’ai peu connu:

  • Tu sais mon enfant, souvent tu devras pour le même résultat fournir deux fois plus d’efforts que tes pairs. Parce que tu es surement bien né par ton milieu social mais tu resteras souvent ce « noir pas si noir que ça ».

Puis ma mère s’est remarié. Un homme aimant, ex ami d’affaires de mon oncle. Mes aînés, qui avaient fait les mêmes sacrifices et vécu la même précarité, ont fini leurs brillantes études : chirurgien cardiaque et urbaniste.

Les miennes s’achevaient également et se semblait voir ce qui semblait être une vie apaisée. J’ai monté sur un coup de folie ou de génie une entreprise de services à la personne, à 21 ans, qui fut vite prospère et rentable et employait 8 personnes. Après un an et demi je la revendais et me consacrais à la poursuite de mes études, notamment l’examen du barreau et mon doctorat qui fut vite consacré par une cotutelle avec l’une des meilleures universités du monde et d’être recruté par un cabinet notoire parisien.

J’avais réussi. Seul. Furieux. Cela faisait bientôt six ans que je n’avais pas parlé à mon père. J’aurais vu qu’il l’entende, j’aurais vu qu’il le lise, j’aurais voulu qu’il le voit, j’aurais voulu qu’il le sente afin que ma rage et ma colère soit apaisées.

Mon appartement, mes voyages, mes paires de chaussures à 1200 euros, mon train de vie actuel, mes réussites, je ne les dois qu’à une seule personne : ce jeune garçon de 15 ans en fugue qui s'est retrouvé, un soir de 2010 à la rue avec 85 euros dans la poche de jean slim noir et tout un monde à reconstruire.

Et ce n'est que le prologue.

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One Winged Dove

Publié le par Dorian Gay

One Winged Dove
  • Cucurucu. Cucurucu. Curucucu.

Après m’avoir sermonné, ma mère avait cette capacité extraordinaire à redevenir aimante et douce instantanément et à chantonner cet air avec sa voix cassée qui enveloppait d’une douce torpeur la cuisine de notre maison et se mélangeait aux effluves des plats qu’elle préparait.

Elle disait souvent : « la nuit ne doit pas se coucher sur ta colère ou ta frustration » - autrement dit, les ressentiments doivent toujours être éphémères, brefs, presque volatiles et ne jamais s’éterniser au delà d’une journée.

Je faisais mine de ne pas l’écouter, alors que j’étais allongé en poirier sur le canapé, les pieds tendus vers le plafond, mélangeant des mains un paquet de cartes de jeux qui trainait souvent sur la table du séjour.

  • Je t’ai déjà dit que tu ne peux pas tout donner. C’est bien ce que tu as fait mais tu dois garder de la mesure ! s’exclama t’elle avant de se remettre à chantonner.

Je l’avais encore fait. Je devais avoir 8 ans ou 9 ans, et j’étais fou. Fou ou peut être prodigieusement lucide. Difficile à déterminer à vrai dire.

Mes parents, ma mère m’avait élevé dans une culture de la générosité, de l’altruisme et de la bienveillance et j’appliquais parfois ses préceptes avec un peu trop de zèle juvénile parfois.

Et pour la énième fois ce mois là, je volais des provisions dans la cuisine et je sortais discrètement de la maison alors que les autres membres de la famille étaient moins vigilants et je les distribuais gaiement à des personnes en difficulté dans la rue. Rien ne me rendait plus heureux. A 8 ans.

J’avais même acquis une certaine réputation dans le quartier, de sorte que nos voisins n’étaient guère étonnés me voir « fuguer » quelques heures avec des boites de sardines ou de lait sous le bras.

Je me souviens aussi que, pendant plusieurs années, dans la cour de récréation je partageais presque toujours mon déjeuner avec d’autres enfants moins gâtés en portions, voire de le l’offrir en entier et de me priver de repas. Pourtant je ne le vivais nullement comme un sacrifice, plutôt étonnement comme une satisfaction. Chaque été, après les soldes, spontanément, je regroupais mes affaires et jouets dont je ne voulais plus et préparais un colis pour des enfants d’une amie de ma mère, femme de ménage, dont ces quelques égards faisaient scintiller les yeux des deux enfants du même âge que moi.

Je versais des larmes et était inconsolable devant toutes les misères et fêlures du monde et ne comprenais pas pourquoi le monde ne tournait pas parfois si rond.

Faire du bien, avoir cette impression d’apporter un modeste éclat à la vie de connus ou de moins connus était la plus grande satisfaction que j’avais. Je n’étais pas particulièrement religieux ou porté sur des considérations d’ordre théologiques, c’était juste inné, génétique, atomique, naïf et primaire.

Avec le recul, je me rends compte que j’étais un enfant particulier, une sorte de personnage Disney chimérique dont le monde, bulle opaque, était empli de sincère empathie.

Puis j’ai grandi, la bulle opaque est devenue de plus en plus claire et avec, une certaine lucidité mélancolique s’est installée.

Je me suis mué progressivement comme tous ces autres parisiens, détachés, impassibles, égoïstes et autocentrés.

Non, je n’aime plus aider. Non, l’idée de me rendre particulièrement utile à un inconnu croisé au détour d’une rue ne ravit plus. Au contraire, comme tous ces autres, je presse le pas dès que je sens le souffle d’un touriste dans la nuque qui souhaite un renseignement. Je fronce les sourcils pour apparaître le moins aimable possible afin que l’on ne sollicite pas de moi un quelconque service.

Parce que ma vie est plus importante. Parce que mes intérêts sont plus impératifs. Parce que je n’ai pas le temps. Parce que je ne veux pas avoir le temps. Parce que ça ne m’apporte rien. Parce que je fais comme tout le monde. Parce que je ne suis pas Mère Theresa et que ces gens peuvent se débrouiller un peu tout seuls.

Et parfois, profondément, j’ai le sentiment de nager à contre courant, de contraindre ma propre nature que j’étouffe sous des superpositions de ‘parce que c’est comme ça’ destinés à ‘faire comme tout le monde’. On me dit que je souris moins qu’avant. Je ne m’en rends même pas compte au final. J’ai l’impression que rien n’a vraiment changé pourtant.

L’ange a perdu son auréole.

Puis parfois c’est moi qui suis dans le besoin.

21h, Québec, Canada, 8 Août 2016. Mes amis viennent de me déposer en voiture dans le centre ville après avoir fait le trajet depuis Montréal ensemble avant qu’eux ne continuent leur trajet vers Toronto.

Je suis alors persuadé que l’adresse de mon logement AirBnB est sis à la rue Rockwell. Je n’ai plus de batterie dans mon téléphone. Impossible de vérifier, tout aussi impossible de faire appel à un taxi. Je vais vers l’arrêt de bus le plus proche, chargé de mes deux lourdes valises. Une femme, blonde, carré court, la quarantaine fraiche, attend seule. Je lui demande si elle sait où se trouve la rue que je cherche. Elle semble étonnée et m’affirme ne pas connaître cette rue et qu’elle est pourtant originaire de la ville.

Elle me propose de prendre le bus jusqu’à un arrêt plus central et d’aviser ensuite. Elle me prévient néanmoins que le chauffeur du véhicule n’accepte que l’argent comptant et ne fait pas de monnaie : 4,5 dollars, pas un centime de plus ou de moins.

Je n’avais que des billets de 20 dollars et aucune pièce. Le bus arriva, je tentais quand même ma chance auprès du chauffeur qui déclina derechef mes 20 dollars. Aussitôt, elle revint et lui demanda spontanément si elle pouvait payer cette somme sur sa carte d’usager pour moi.

Elle m’invita, dans un sourire sincère à m’asseoir à côté d’elle afin de déterminer comment me rendre à l’adresse que je recherchais. Alors que nous nous exprimions avec un certain volume, nous furent très vite rejoints par un autre homme et un couple de jeunes québécois d’origine libanaise qui spontanément se sont proposés de m’apporter leur aide : les deux jeunes en recherchant l’adresse sur leur téléphone et l’homme plus âgé en examinant la carte de la ville que j’avais dans mon guide.

Arrivés à l’arrêt central, ils m’aidèrent tous à débarquer du bus et me souhaitèrent bonne chance et bon séjour dans quelques éclats de rire échangés. La femme blonde resta avec moi plus longtemps et fit une partie du chemin avec moi afin de s’assurer que j’arrivais à destination sans trop d’encombre avant de me dire au revoir et de disparaître dans la nuit après plusieurs gestes d’au revoir offerts au loin.

J’ai déposé mes affaires dans cet appartement alors plongé dans la pénombre et suis resté quelques minutes, abasourdi par tant de bienveillance sincère et spontanée.

Cette même bienveillance que je retrouvais souvent lors de mes voyages à l’étranger, en Asie, en Grèce il y’a quelques semaines, en Méditerranée un peu plus tôt cette année et qui me bouleversent toujours autant.

Je suis nostalgique de la même nature dont je pouvais faire montre plus jeune. J’ai alors l’impression que la « machine est rouillée » et que les rouages crissent et pourtant j’ai fondamentalement envie de retrouver celui que j’étais, comme si je l’avais perdu en chemin.

J’ai envie de retrouver ce sourire de satisfaction que j’avais quand j’allais me coucher et que quelqu’un m’avait, au cours de la journée, remercié pour un service quelconque. J’ai envie de retrouver cette naïveté primaire, ces élans de générosité, d’altruisme. Parce qu’au fond, je le sais, c’est comme ça que les choses devraient et doivent être. C’est comme ça que le monde doit et devrait tourner. Je sais que c’est ce qui me rend vraiment heureux : rendre les autres heureux.

Je veux être quelqu’un de bien. C’est tout ce que je veux.

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Echoes in the Green Forest

Publié le par Dorian Gay

Echoes in the Green Forest

Pour certains d’entre nous, écrire, nous épancher ici et là, étaler nos bribes de vie, est une exercice libératoire, cathartique, introspectif et égoïste. D’autres écrivent en sachant que leurs mots, leurs expériences sont comme des bouteilles jetées à la mer et qu’elles finiront toujours par échouer sur une rive quelconque.

Pour ma part, mes motivations ont été pour longtemps insondables. Mes premiers billets qui datent de trois à quatre ans déjà étaient une série de récits à l’essence autobiographique rédigés avant tout pour laisser une trace et me rappeler, garder souvenir d’une enfance et d’une jeunesse qui me semblait à l’époque horriblement éphémère et fuyante.

Puis j’ai commencé à écrire pour un magazine et sur une plateforme assez notoire dans le milieu de la presse. J’ai changé de style, adopté un autre ton et ai traité d’autres sujets moins autocentrés : la vie, l’amour, le sexe, la mort. Très vite, j’ai dû prendre des distances avec ce nouveau statut, cette nouvelle importante audience. Je n’ignorais pas qu’en partageant mon modeste avis et vécu avec, à l’époque près de 15.000 à 20.000 lecteurs curieux par billet, j’acceptais de m’exposer au feu des critiques, de la bien pensance ou parfois tout simplement à de l’antipathie primaire. Mon statut de contributeur anonyme, sensé être une carapace coriace ne m’a souvent pas protégé de certaines flèches particulièrement acérées.

Après plusieurs mois, j’ai donc décidé de revenir à une plateforme libre et d’écrire sous mon seul et unique nom ainsi que de réduire mon public à des personnes en qui mes billets résonnent réellement. Dorian Gay 3.0. était alors né.

Depuis, mon style s’est réaffirmé. Je partage ici, avec beaucoup de pudeur que n’empêche pas l’anonymat, des fragments de ma vie, de mes opinions, de mes réflexions et tribulations. Cet exercice reste plus que jamais thérapeutique. Alors que Je couche les mots sur le papier, mon esprit les laisse s’envoler, parfois pour toujours. Mon écriture est alors parfois égoïste et égocentrique. Les dizaines de milliers de visites que je reçois ici chaque année restaient un chiffre abstrait, une donnée purement statistique, un nombre. Le nécessaire lien qui se créait avec ces milliers d’anonymes qui se perdaient dans mes écrits m’était complètement insoupçonné.

C’est pour cette raison que ma prolixité et ma productivité en termes de publications dépend de mes états d’âme. Ce n’est pas moi qui décide d’écrire. C’est l’écriture qui m’écrase de tout son poids lorsqu’il est temps de décharger des fragments de vie. Or, je n’ai pas été très volubile ces derniers temps par ici : c’est parce que je suis heureux (ce qui est difficile à concevoir alors même que je suis convaincu que l’Homme ne peut pas pleinement l’être, ce qui sera le sujet d’un autre billet) ou du moins que j’ai atteint une sorte d’état de satisfaction relative et ai endormi, depuis quelques mois, mes démons intérieurs. Ma vie est d’une banale harmonie : nouvel appartement, nouveau travail, nouvel amoureux qui s’avère tellement irréprochable depuis plusieurs mois que je n’ai presque plus rien à vous conter sur ma vie sentimentale, vacances à l’autre bout du monde, Spritz estivaux sur des terrasses ensoleillées, rencontres magiques et éclats de rire qui sentent les cigales.

Puis parfois, je reçois des claques. Des messages, cinq, dix, un, quatre, vingt, de lecteurs qui partagent avec moi leurs expériences, leurs sourires, leurs drames et me disent que tel ou tel billet a eu un écho particulier en eux et leur a parfois fait du bien.

Echoes in the Green Forest

C’est d’une beauté poétique inouïe. Deux bouteilles à l’océan qui s’entrechoquent et parfois s’entre-brisent et révèlent leur contenu.

D’un point de vue thérapeutique, ces déclarations spontanées sont inestimables. Je me rends alors compte que certaines choses que je décris ici sont vécues tout aussi intensément par des milliers de personnes dont le regard frôle peut-être le mien, dans le métro, dans la rue, à la terrasse d’un café. Comme si ce que je considérais comme mes individualités, mes singularités n’étaient qu’une énième expression d’un phénomène global plus important mais parfois insoupçonné. Des zèbres, il y’en a beaucoup d’autres.

Et ça c’est infiniment important : une piqûre de rappel de la relative banalité de mes questionnements et des feux qui consument parfois mon esprit.

La banalité, oui ça n’a pas de prix, merci.

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