La Fleur Dans Le Béton

Publié le par Dorian Gay

La Fleur Dans Le Béton

Bitume froid, symphonie métallique des vas-et-viens du métro, cliquetis des souliers sur le pavé, bips intempestifs des pass Navigo, tourbillon de vies qui s'assemblent et se désassemblent le temps de deux stations de métro, d'un café en terrasse, d'un regard furtif porté sur un inconnu qu'on ne recroisera plus jamais et qui se noiera dans l'océan d'autant illustres inconnus : voilà comment j'ai pendant longtemps appréhendé Paris.

Une sorte de grosse machine fumante et sonore qui broie inlassablement le temps, les rêves et les dernières réminiscences de convivialité et d'altruisme. Ville où le soi est roi et où nous faisons tous la même chose, affrontons chaque jour nos longues minutes de métro, visages inexpressifs et froids, travaillons dans une boîte que nous n'aimons pas pour un patron que l'on aime encore moins pour gagner le précieux pécule nécessaire à nous assurer à peine la pérennité de la location bien trop chère de l'appartement dans lequel nous cachons la réalité de nos aspirations, tout en prétendant s'en complaire parfaitement et jurant ne pas s'imaginer vivre ailleurs.

Nous répétons inlassablement les mêmes choses, aspirons à un appartement un peu plus grand, une paie un peu plus généreuse, un arrondissement un peu plus sympathique, un peu plus de temps pour nos activités extraprofessionnelles et nos amis, à se mettre nos propres comptes ou le non moins célèbre «l'année prochaine je plaque tout et je monte ma boîte».

Parisien de naissance, je crois que les charmes de Paris se sont évaporés au fil des années, ou du moins sont devenus invisibles à mes yeux laissant place à une sorte d'étanchéité sur laquelle sont venus se superposer l'ennui, la sensation de voir les mêmes têtes et les mêmes endroits.

Je déménageais donc en début de mois, quittant le confort douillet et rassurant de l'ouest parisien dans lequel j'avais pris racine et ce qu'il y'a de propre aux déménagements c'est qu'ils mettent face à vous la réalité de votre vie. On retrouve derrière ces meubles sédentaires que nous ne déplacions jamais, des objets égarés. Nous retrouverons dans des coins de porte abîmés, dans des petites tâches au mur, dans de vieilles photos coincées dans l'angle d'une commode, des fractions de passé et souvent même de l'oublié. On se rend aussi compte assez ironiquement que notre vie aussi longue et riche soit-elle peut parfaitement tenir dans un utilitaire 12m2.

Et à la fin, quand tout ce qui vous était cher est délicatement emballé dans des cartons et que les lieux sont vides, aseptisés, comme si tout ce que vous aviez vécu se tourne aussi vite qu'une page de magazine, on remet symboliquement les clés ces quatre murs à quelqu'un, souvent inconnu qui lui aussi va y inscrire une partie de sa vie.

Les déménagements sont aussi synonymes de nouveaux départs. Convaincus que de nouveaux mètres carrés, de nouveaux voisins, un nouvel ''épicier arabe d'à côté" et une nouvelle déco de circonstance effacent ce qui fut et ouvrent le champ d'un nouveau possible. Et ma foi… cela marche plutôt bien.

Je ne saurais dire si cela est éphémère ou juste dû à l'émulation née de la nouveauté mais je me surprends à retrouver les charmes de Paris, ou du moins à retrouver une sensibilité à ces choses que l'on ne voit plus, un peu comme un ex fumeur qui retrouve la plénitude de son sens olfactif. Non, je ne m'émerveille pas devant l'imposante tour Eiffel, l'Arc de Triomphe ou le fourmillement sur les Champs Elysées. Je ne suis toujours pas plus ému par la beauté de Notre – Dame, des immeubles Haussmanniens ou de la place de la Concorde mais je suis plus que jamais séduit par ces petites maisons nichés dans l'est Parisien, je reste sans voix quand je contemple Paris la nuit depuis un point d'altitude, m'amusant comme Amélie Poulain à m'imaginer ce que font ces inconnus dans ces immeubles illuminés à ce moment précis. Je retrouve la beauté intacte des quais de Seine en fin d'après-midi, la fraicheur du Parc Monceau en début de matinée, de chiner et de trouver des trésors dans ces petites échoppes cachées derrière de grands immeubles de béton, de rendre un sourire à des touristes qui vous l'offrent désespérément, le tumulte autour des terrasses en été, le plaisir de se faire des petits trajets en vélo, l'effort de regarder tout simplement ces autres nous entourent et que l'on finit par ne plus voir. Réceptif? Je crois que c'est le mot.

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T
Ce qu tu décris avec beaucoup d'élégance me renvoie à ma dernière semaine à Buenos Aires, celle du grand compte à rebours après 6 mois passés là-bas. Soudain la ville a recouvré un charme que je ne lui connaissais plus, ses rues se sont à nouveau animées des milles émerveillements des premiers jours et soudain j'ai pris conscience que j'allais quitter ces lieux pour toujours et revenir à mon ordinaire ici, en France. <br /> Les prémices de la nostalgie je suppose.
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S
Tellement vrai. Cette capacité à se dire que tout peut recommencer, simplement parce qu'on en a .... envie !
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S
haaaaaaa ta plume ! Je suis ravi de te lire... Et par hasard j'ai lu cet article en écoutant cette chanson. <br /> http://grooveshark.com/s/Tomorrow+Malta/53jwOZ?src=5<br /> <br /> Un moment de perfection. <br /> <br /> Merci :)
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