Nos Petites Vies Virtuelles - Rehab I Said No No No

Publié le par Dorian Gay

Nos Petites Vies Virtuelles - Rehab I Said No No No

C’est un monde comme le vôtre, mais pas tant que ça.

Un monde de gens ordinaires, comme vous, pleins de frustrations, de chewing-gums collés sous les bancs des parcs et de nids-de-poule dans les rues. Un monde de larmes et de rires, de smoothies à la fraise et de gin-tonic, un monde d’argent et d’argent.

Un monde de gars et de filles, de filles et de gars, de filles qui aiment des filles et des garçons qui aiment des garçons et de tout ce qu’il y’a entre les deux. Un monde d’images et de sons. Je vous jure que c’est un monde qui ressemble beaucoup au vôtre. Sauf que.

Sauf que, dans ce monde-là, les raisons ont tous des pépins, le papier toilettes est toujours au bout du rouleau et les cravates sont toutes à pois. Dans ce monde-là, le temps s’arrête de temps en temps, histoire de laisser le monde respirer, histoire de calmer la vie qui trépigne un peu trop.

Dans ce monde-là, il y a moi. Minet ordinaire, pas grand-pas petit, pas trop con, pas trop mal fait mais sympathique. Moi qui me demande du fond de mon appartement ce qu’il peut bien avoir de si tripant à l’extérieur.

Moi, à qui Internet, mon Mac Book, Grindr et ma Nespresso suffisent.

Le problème avec toutes ces choses c’est qu’elles peuvent devenir vos amis. Et quand elles deviennent vos amis, forcément, vous leur faites confiance. Ce qui signifie que quand Internet vous dit qu’une belle fille c’est une fille de publicité pour Gemey Maybelline ou qui se déhanche en franglisant un « J’adore Dior », et qu’un beau garçon c’est celui qui répond « What Else ? » dans une réclame pour du café, et bien vous le croyez. Et plouf, vous voilà plongé dans le triste ravin de l’illusion d’optique. De l’illusion tout court. Et quand, dans ce ravin là, vous croisez quelqu’un de vrai, ce quelqu’un est ordinaire. Trop ordinaire. Ryan Gosling dans The Place Beyond The Pines, les Ephèbes dans Dante’s Cove, Les sculptures qui font la frontpage de TETU ou de Vogue Hommes Intl. Tout ce qui est dessiné et qui a de belles boules (vous avez le choix de l’interprétation à ce niveau) et qui se dandinent devant vos yeux LCD ou Plasma. La nouvelle réalité. La vôtre. Celle qui rend l’ancienne plate à mourir.

C’est dur l’amitié. C’est dur l’amour.

Aujourd’hui c’est samedi, et je devrais aller au supermarché, ou du moins commander sur internet et me faire livrer. Mais il fait froid, et je suis paralysé. Paralysé non physiologiquement mais psychologiquement. Alors fuck le supermarché, ce sera smoothie et derniers macarons Hermé qui trainaient.

Il est 13 heures, c’est l’heure de se lever, puis marche de la chambre au bureau adjacent. Quoi de mieux que l’exercice pour se maintenir en forme ? Je suis un gars ordinaire avec mes rêves et ma collection de foulards et de chaussures, avec mes joies et mes surprises. A mon arrivée dans la pièce qui me sert de bureau, le Mac s’illumine de joie, le smartphone aussi – salutations et témoignages d’affection. Mes amis et moi sommes en route pour une autre journée pleine d’inaction – de tchats virtuels, de visages pixelisés. Nous sommes en 2013, personne ne drague plus ou ne se fait plus draguer dans ce qu’il reste de la « vraie » vie. Nous faisons tous online, agrippés à nos smartphones ou avachis devant nos écrans d’ordinateur. Ceux qui daignent encore mettre les pieds dans de vrais lieux physiques dédiés, et draguer à la « old school » s’aperçoivent généralement assez vite que ceux qui les entourent sont bel et bien physiquement présents mais tous éblouis par le rétroéclairage de leur smartphone où tourne en fond Grindr. Bref.

- Page temporairement indisponible – veuillez vérifier votre connexion internet. Pire mon ordinateur bugge et ne répond plus à mes cliquetis sur le clavier. Drame intersidéral.

J’attends une minute, deux, cinq, cent vingt. Toujours rien. J’ai mal aux pouces à force de me les tourner, mal aux yeux, à l’égo, au cœur, au sexe et au cerveau de ne rien avoir à les offrir à manger. J’ai besoin de voir des pseudos, des images de torses nus décapités, d’images en rafale, de conversations niaiseuses ou stéréotypées. J’appelle mon meilleur ami, Ingénieur Informatique. Il ne peut pas venir aujourd’hui mais il me donne le contact d’un de ses proches amis, que je ne connaissais que de prénom, réputé habiter près de chez moi et qui pourrait m’aider après ses recommandations.

Ça sonne.

- Euh, salut, c’est Dorian, pas « Dori-anne », j’anticipe. l’ami à Hugues, je t’…

- Oui, oui je sais, il m’a prévenu. Tu ne me déranges pas.

- Je n’ai pas posé la question…

- J’anticipe aussi ! Problèmes avec ta connexion internet donc ?

- Oui, mes voisins n’ont pas de souci, je pense donc que cela vient de ma box. En plus mon Mac bugge, il ne répond plus. Tu me sauverais si tu pouvais intervenir. Je créerais une religion animiste et je t’érigerais en dieu que je louerais chaque matin.

- Ha ha ha. Bien trop d’honneur. Je pourrais voir ce que je peux faire pour le bug mais pour la box et ta connexion, je crains que tu aies à appeler ton assistance technique. Tu habites où ?

- Boulevard Lannes. Pas loin de …

- Ah oui, je vois, c’est faisable en 6 minutes à pied

- Parfait. Et tu pourrais venir quand ?

- Là, le temps de sortir mon chien

Il sonne à la porte, j’accoure vers mon sauveur, Il est beau, fin et tout gêné, quelques clics et miracle : plus de bug, j’appelle l’assistance technique pour la connexion internet, ils disent que la connexion est mise à mal par un défaut technique généralisée et que cela sera rétabli d’ici demain, je suis content même si j’ai mon ordinateur sans la connexion, nous prenons le thé. Ça fait bizarre de rencontrer des gens dans la vraie vie et de façon aussi originale. Il m’invite à prendre l’apéro chez lui le soir même « pour éviter de me morfondre chez moi tout seul et de sauver un jeune homme du suicide ». Je ris, j’accepte.

Il est 20h01 et dans deux minutes je vais cogner à sa porte. Je me suis préparé pendant une heure, ça fait longtemps que je n’ai pas eu de date aussi naturel, vrai et spontané, je ne sais plus comment cela est sensé se passer mais je rappelle qu’il faut que je sois beau. Alors je me suis préparé tout bien, tout longtemps et je ne me trouve pas mal ; en tout cas je sens bon.

Il est 20h02 et je me demande si j’ai mauvaise haleine. Je fouille dans les poches de mon trench, je trouve un fond de boite de Tic-Tac surement périmés depuis le temps, mais bon cela fera l’affaire.

Il est 20h03 et je cogne à sa porte. Je sonne, il n’a pas répondu au cognement. La porte s’ouvre et c’est lui : il est tout beau, tout souriant, tout sent-bon.

On a bu du porto et on n’a parlé des émissions que nous regardions, d’Almodovar, de Nabila, des Pubs Dolce & Gabanna, du Franprix d’à côté. Quand je suis rentré chez moi, il devait être 4 heures du matin. Mes pas résonnant sur le pavé humide, j’ai pensé à lui. On avait baisé comme dans Bleu Nuit, doucement et dans le noir, j’avais passé une belle soirée.

Je me suis couché en diagonale dans mon lit, à moitié habillé, l’autre moitié heureux. J’ai fait de beaux rêves.

Clic. Le temps qui reprend.

C’est dimanche, il est 14h, je me réveille. J’ai envie de pisser, j’ai les yeux collés. Débarbouillette, la vie qui se réveille, je prends un paquet de toasts dans la cuisine, lance ma machine à café, et, dans le bureau, j’allume mes amis.

Yes ! Internet est revenu - trêve de réalités, retour à la vie virtuelle.

Retrouvez moi sur Twitter ICI ou écrivez moi à doriangayparis@gmail.com

Song: After the Fall - Norah Jones - 2012

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S
mais c'est qu'elle est toute choupinette cette histoire, et draguer autour de Nabila, ça n'a pas de prix :)
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S
Un peu de réel fait du bien non?<br /> Je débarque dans ton univers, je pense que je vais squatter un peu.
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D
Oh mais je t'en prie! mais fais comme chez toi - mets toi à l'aise, prends ton temps