HORS MILIEU GAY OU HISTOIRE D'UN GHETTO ORDINAIRE
Toutes les réverbérations nées de l'annonce des futurs Gay Games à Paris et les pseudo-réflexions des uns et des autres m'ont exacerbé mais ont toutefois nourri ma réflexion des diverses positions qui se sont érigées, pour ou contre cet évènement.
Entre ceux qui vagissent au communautarisme, arguant que l'existence de ces jeux n'est qu'une énième turgescence d'un communautarisme gay asphyxiant et ceux qui y voient une avancée supplémentaire dans l'avancée des droits de la cause gay, dur de savoir à quel son de cloche réagir lorsque l'on fait partie de cette jeune génération homo; dur de se greffer à une de ces deux principales écoles de pensée.
Communauté vous dites? Cette notion de communauté nous divise; cette notion de communauté interpelle.
Si j'admets, avec la relative subjectivité qu'induit ma jeunesse, que ce que nous appelons "communauté gay" a permis, au long de l'histoire de nous façonner une culture, une identité, une histoire, et nous a permis, telle une armée unie, cohésive, forte, fière et rugissante de conquérir nos droits et notre place dans la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui, je reste tout aussi persuadé qu'elle n'est pas universelle et qu'elle a ses limites.
Je refuse en effet l'idée même de communauté gay au sens sociologique et historique du terme : si, certes, nous avons toujours formé au fil de l'histoire contemporaine une sorte de groupe – n'oublions pas que le seul lien qui fonde, qui unit cette communauté n'est intrinsèquement que notre orientation sexuelle. Admettre ainsi qu'un garçon, parce qu'il aime les garçons, et une fille parce qu'elle est attirée par d'autres filles, fait inéluctablement partie d'une "communauté" et adhère forcément à une philosophie, à une culture et à une histoire préétablies est absolument aberrant.
Bien qu'homosexuels, je pense ne pas me conforter dans mes convictions en affirmant que nous ne nous définissons pas par notre sexualité – encore heureux. Cette idéologie communautarisme basée sur ce seul lien objectif qu'est la sexualité est profondément réducteur et si pauvre de réflexion – imaginez-vous si, tous les groupements d'individus s'érigeaient en communauté, où serait donc la limite : communauté de végétariens? De gauchers? De groupes sanguins? D'amateurs de saumon fumé ?
Nous sommes, individuellement, personnellement différents bien que réunis par notre orientation sexuelle, qui n'est à juste titre qu'un infime élément qui compose les Hommes que nous sommes, que vous êtes – et de cette individualisation résulte la principale limite à ce que j'ose appeler le "communautarisme d'office" et dans laquelle une génération croissante de jeunes homos ne se retrouvent pas et préferent se déclarer "hors milieu", alors que d'autres, sans autre repère que celui de la communauté, s'y complaisent, errant dans le seul et même univers bien étroit et parfois dans les mêmes lieux réservés, comme rassurés par l'idée même de n'être entourés que de semblables. La communauté s'est même virtualisée : on se follow, on s'ajoute, on se connecte... bien souvent qu'entre nous.
Allons plus loin dans le raisonnement: tout comme je considère que la notion de "tolérance ou d'acceptation des gays dans la société" est un total abus de langage, en ce que nous n'avons pas à être "tolérés ou acceptés", comme on n'accepterait ou non un chien dans un restaurant, mais juste intégrés, je pense également que ce que certains appellent la fierté gay est un concept bien étrange, et sert à tort de ciment pour renforcer le communautarisme.
Non, je ne pense pas que l'on doive se sentir particulièrement fier de sa sexualité et l'arborer comme une crête de coq dans les rues : cela reste une sexualité – point. Nul besoin de la couvrir de vanité. On peut être fier de la personne que l'on est en globalité, on peut être fier du succès des études faites et du travail effectué, on peut être également fier de la famille ou des proches que l'on a, on peut être fier de nos petites victoires quotidiennes, mais on ne peut pas être fier d'être blonde, d'être grand ou de ne pas sentir des pieds, c'est une caractéristique physique comme une autre.
Non je ne renie pas l'histoire de la cause gay, je ne réfute pas que la force du groupe a été le principal moteur des avancées sociales et politiques dont nous avons bénéficié, le fabuleux élan à l'occasion du Mariage Pour Tous en étant un bon exemple; je refuse juste l'idée de la communauté d'office et toutes les dérives auxquelles peuvent mener un zèle excessif de communautarisme.
Là où le bât blesse c'est lorsque nous les discours et les revendications de la "communauté" ne correspondent pas à ses actes concrets. Nous réclamons sans cesse l'intégration, l'homophilie presque, mais persistons à garder clos certains domaines réservés, nos petits ghettos "sans conséquence" : entre le Marais où jadis tout couple d'hétéro banal ayant l'audace de roucouler en public étant fusillé du regard et tous les évènements divers dont nous en faisons égoïstement apanage, toute personne non concernée ne peut y voir que des murs subsistants érigés entre nous et eux. Une reminiscence de sectarisme sous-jacent. C'est ce paradoxe, ce "un pas en avant-un pas en arrière" qui marque une dérive de ce communautarisme.
Au risque d'attirer foudres et lames, je vais jusqu'à penser que contrairement à ce qu'affirment de fervents défenseurs de la communauté gay, cette imperméabilité de notre monde sert de charbon de bois au feu de l'homophobie : "je ne connais pas, je ne fréquente pas, je ne vois pas, donc j'hais". Il n' y a pas besoin de faire un Doctorat en Droit pour se rendre compte d'une telle évidence et se rappeler à quel point l'histoire nous a démontré que la survie de groupes, de communautés qui s'entêtaient à restés closes a toujours entrainé haine, rejet et violence.
Seconde dérive? La communautarisation de la communautarisation. Qu'on me traite de cynique blasé – le cynique blasé n'en reste pas moins réaliste : le voile du communautarisme gay à outrance ne cache que d'autres clivages entre des sous-communautés, qui elles aussi, sans que l'on puisse parler de "culture" ou d'histoire, tiennent à rester homogènes : gay de province versus gay francilien, gay de banlieue vs gay intramuros, gay viril vs gay efféminé, gym queen vs crevette, fashionista vs casual gay, lesbiennes vs pédés, ethniques vs caucasiens, jeunes vs seniors la liste est loin d'être exhaustive.
Le test est facile à effectuer : prenez moi, jeune minet à l'orée de sa jeunesse, au loin volontairement soigné et proposez lui d'aller boire un verre au Cox par exemple – entre les regards et sourires éloquents, vous aurez une bonne visibilité de ces frontières intra-communautaires. En fin de compte, il s'avèrerait plus juste de parler de "causes gay" ou de "communautés gay". La communauté reste donc un faux concept, ou du moins un beau mirage : tous gays certes mais c'est tout – cela appuie donc mon constat de départ : pourquoi donc militer pour cette idée de "communauté gay globale" et forcer le trait avec des évènements censés être fédérateurs, lorsqu'elle montre elle-même des lacunes évidentes?
Modérons néanmoins mon discours. Je reconnais à cet esprit de groupe un certain nombre de vertus. Comme je l'ai déjà affirmé, la force du groupe nous a permis de revendiquer nos droits et de briser les murs du rejet et de l'inégalité – la "communauté", moi jeune gay m'a permis encore enfant, perdu et tourmenté par sa sexualité "curieuse" de trouver réconfort et apaisement auprès de personnes "comme lui", à l'ère où Grindr et autres joyeusetés technologiques n'existaient pas encore – la "communauté" m'a permis d'expérimenter des choses qui me seraient restées étrangères si j'avais été isolé, elle m'a permis de m'enrichir de la richesse des identités gay, de sociabiliser, de vivre de formidables aventures humaines et sociétales, de me sentir parfois en sécurité et compris.
Cependant, aujourd'hui, n'est-il pas temps de percer la bulle et de laisser un peu d'air frais s'y glisser avant de frôler l'asphyxie?